Le Dégel

Trad. du russe par Michel Wassiltchikov
Collection Du monde entier
Gallimard
Parution
Ce nouveau roman, déjà célèbre depuis sa publication en russe, symbolise l'aurore d'une ère nouvelle en U.R.S.S., l'apparition d'une certaine «douceur de la vie», chèrement gagnée et lucidement appréciée. Le Dégel envahit les cœurs, les arts, la politique. L'amour, s'il a encore des hésitations de convalescent et s'il est loin de la passion dostoïevskienne et tolstoïenne, joue un grand rôle dans ce roman qui a pour décor une petite ville industrielle, et ce n'est pas sans de terribles crises, dues aux malentendus engendrés par la fierté, la susceptibilité, la psychologie complexe des protagonistes, qu'ils parviennent à un équilibre du bonheur. Au moins trouvent-ils le temps, dans une société où s'insinue une légère détente, de se torturer les uns les autres, dans la meiIIeure tradition russe. En même temps que, dans le domaine des arts, se dessine un très net retour de faveur pour les œuvres qui n'ont de «signification» et ne portent de «message» que par leur beauté même, – un besoin général de bon sens et de générosité individuelle se manifeste à l'occasion de deux crises politiques...
Le livre s'achève par le voyage à Paris du jeune ingénieur Savchenko, avec une délégation d'autres ingénieurs ; et la lettre qu'il envoie, de Paris, à sa fiancée Sonia place le roman dans sa vraie perspective. Les critiques de leurs modes de vie et de pensée auxquelles se livrent les personnages du Dégel ne constituent en aucun cas un reniement ou une auto-critique. Il s'agit de reproches de détails, auxquels ils remédient peu à peu parce qu'ils jugent que la situation générale le permet. Mais ils n'en sont pas moins fiers de tout ce qui a été réalisé et de l'avenir qui les attend.
Sur le plan littéraire, ce qui est particulièrement attachant pour le lecteur français est de retrouver, sous l'écorce communiste des héros, l'éternel caractère russe : le même, vraiment, dans ce tableau de l'aristocratie industrielle de 1955 que dans les portraits de hauts fonctionnaires tsaristes des classiques russes. Le régime collectiviste n'a pu, semble-t-il, arracher de l'âme russe le sentiment de la solitude irrémédiable de l'homme.
Ehrenbourg est trop grand écrivain et trop honnête artiste pour que cette pérennité n'éclate pas à toutes les pages de son roman.