Train de vies
Collection La Renaissance de la Nouvelle
Gallimard
Parution
«Le titre que j'avais choisi : "Vies", me dispenserait de tout commentaire. Celui que j'ai retenu en définitive ne trahit d'aucune façon mes intentions. Je n'ai pas tant eu le désir de conter des histoires merveilleuses ou romanesques. mais surtout d'apporter des témoignages sur des vies anonymes. J'ai eu le désir d'exprimer fidèlement ces vies, non d'en faire des histoires bonnes à amuser, ou inquiéter, ou émouvoir quelque lecteur. J'ai souhaité verser à un vaste dossier des documents. C'est chose aisée de me dire alors que des photographies, des faits divers, des lettres, encore mieux que mes nouvelles répondent à ce souci. Mais je pense qu'un écrivain doit dégager le sens de toutes les rencontres et des documents que le hasard lui apporte, et que, ce faisant, il obéit à un besoin plus complexe que celui de donner des "tranches de vie", ou pour parler comme il est de mode aujourd'hui, des "reportages romancés". Je pense que, souvent, cette tentative pourra mieux aboutir dans la nouvelle que dans le roman, parce que le cadre d'une nouvelle suffit parfaitement à certains drames, certaines actions, certaines vies. Vies ordinaires d'ailleurs, vies courantes, auxquelles s'intéressent en particulier les écrivains d'une école qu'on a qualifiée de "populiste" où bien malgré moi on m'a casé, alors que je n'ai pas plus le souci d'appartenir à ce groupe qu'à un autre groupe dont les préoccupations littéraires pourraient se montrer plus ambitieuses.
À ces vies, j'en ai ajouté une, la mienne, avec ce "Témoignage" qui parut dans un numéro de la revue Europe, en I934, à l'occasion du vingtième anniversaire de la guerre. Je sais que des critiques reprochent aux auteurs de glisser quelquefois dans leurs recueils de nouvelles des "fonds de tiroir". En ce qui me concerne, il n'est rien ici que je n'ai eu le besoin d'écrire, rien qui eût été pour moi une "fabrication". Et précisément au sujet de ce témoignage. Ces pages, s'il me fallait aujourd'hui les écrire, je ne pourrais hélas leur donner qu'un ton plus accusateur et plus âpre. Je les ai jointes à ce recueil pour affirmer encore plus que je ne l'ai su faire peut-être dans mes nouvelles que jamais la littérature ne sera pour moi un jeu propre à proposer au lecteur l'évasion ou l'oubli ; qu'elle constitue au contraire, sans qu'il s'agisse de renoncer à aucune de ses richesses, une des armes efficace et pure que nous possédons pour dénoncer un monde faux et cruel, le transformer.»
Eugène Dabit.
À ces vies, j'en ai ajouté une, la mienne, avec ce "Témoignage" qui parut dans un numéro de la revue Europe, en I934, à l'occasion du vingtième anniversaire de la guerre. Je sais que des critiques reprochent aux auteurs de glisser quelquefois dans leurs recueils de nouvelles des "fonds de tiroir". En ce qui me concerne, il n'est rien ici que je n'ai eu le besoin d'écrire, rien qui eût été pour moi une "fabrication". Et précisément au sujet de ce témoignage. Ces pages, s'il me fallait aujourd'hui les écrire, je ne pourrais hélas leur donner qu'un ton plus accusateur et plus âpre. Je les ai jointes à ce recueil pour affirmer encore plus que je ne l'ai su faire peut-être dans mes nouvelles que jamais la littérature ne sera pour moi un jeu propre à proposer au lecteur l'évasion ou l'oubli ; qu'elle constitue au contraire, sans qu'il s'agisse de renoncer à aucune de ses richesses, une des armes efficace et pure que nous possédons pour dénoncer un monde faux et cruel, le transformer.»
Eugène Dabit.