La Zone verte
Collection Blanche
Gallimard
Parution
«Un matin d'avril, je me trouvais sur une place, en avance au rendez-vous que m'avait fixé un ami. Près de moi, contre un arbre, se tenaient deux hommes pauvrement vêtus, qui discutaient avec un accent faubourien. Je prêtai l'oreille à leurs paroles.
– Moi, la semaine prochaine, je vais dans les bois cueillir du muguet.
– Faut que tu ailles loin de Paris pour que ça en vaille la peine.
– Je prendrai le train. Et puis si je peux pas me le payer, je m'en fous, j'irai à pied!
Mon ami survenant, je n'en entendis pas davantage. Mais, de tout le jour, je me rappelai cette conversation. Le lendemain, le souvenir de ces deux hommes ne m'avait pas quitté (ni certaines préoccupations qui, depuis longtemps, me donnaient le désir d'écrire ce livre).
Je me plus à choisir un de ces hommes, je lui prêtai un nom, un passé, et le lançai sur la route ; il traversa la zone grise qui entoure Paris, s'avança à travers cette grande banlieue, zone verte que Paris ronge lentement – comme il a rongé l'autre – et le soir venu s'arrêta à un carrefour, dans une auberge, en bordure d'une forêt. Peut-être, en chemin, l'avais-je chargé de toutes mes inquiétudes et de mes pensées? Au matin, mon homme se trouvait en présence de personnages inconnus ; il s'égarait dans la forêt, se voyait seul au milieu des champs, face au ciel. C'est alors qu'il retrouva un beau monde perdu et que commencèrent pour lui les joies, les découvertes, les aventures...»
Eugène Dabit.
– Moi, la semaine prochaine, je vais dans les bois cueillir du muguet.
– Faut que tu ailles loin de Paris pour que ça en vaille la peine.
– Je prendrai le train. Et puis si je peux pas me le payer, je m'en fous, j'irai à pied!
Mon ami survenant, je n'en entendis pas davantage. Mais, de tout le jour, je me rappelai cette conversation. Le lendemain, le souvenir de ces deux hommes ne m'avait pas quitté (ni certaines préoccupations qui, depuis longtemps, me donnaient le désir d'écrire ce livre).
Je me plus à choisir un de ces hommes, je lui prêtai un nom, un passé, et le lançai sur la route ; il traversa la zone grise qui entoure Paris, s'avança à travers cette grande banlieue, zone verte que Paris ronge lentement – comme il a rongé l'autre – et le soir venu s'arrêta à un carrefour, dans une auberge, en bordure d'une forêt. Peut-être, en chemin, l'avais-je chargé de toutes mes inquiétudes et de mes pensées? Au matin, mon homme se trouvait en présence de personnages inconnus ; il s'égarait dans la forêt, se voyait seul au milieu des champs, face au ciel. C'est alors qu'il retrouva un beau monde perdu et que commencèrent pour lui les joies, les découvertes, les aventures...»
Eugène Dabit.