Nouvelles

(1836-1842)
Trad. du russe par Henri Mongault
Gallimard
Parution
Ce volume contient les nouvelles de Gogol qui, sans avoir formé comme les précédentes un recueil spécial, ont pris place dès 1842 dans la série de ses OŒuvres complètes, et sur lesquelles quelques précisions préliminaires seront peut-être les bienvenues...
Le Nez peut être considéré comme une œuvre de jeunesse... Quelle est au juste la signification de cette nouvelle? II est permis d'y voir un exemple de cette aptitude à dégager de la platitude le grotesque et du grotesque le fantastique dont l'œuvre de Gogol va bientôt offrir des manifestations éclatantes – en particulier la meilleure nouvelle de ce recueil : le Manteau...
Là aussi Gogol part d'un fait réel : il songea dès 1834 à tirer de cette équipée une «histoire de fonctionnaire qui vole un fusil». Nous possédons le début de cette plaisante histoire ; mais il ne reprit son ébauche que cinq ans plus tard à Rome, la mit au point à Vienne, et ne la publia qu'en 1842. Entre temps Gogol a senti – ou cru sentir – sa causticité s'émousser sous les fumées d'encens des églises romaines. Il met – ou veut mettre – une sourdine à ses sarcasmes... Aussi, par la suite, verra-t-on dans le Manteau la première apparition de ce réalisme sobre,dont la littérature russe fournira tant d'exemples. «Nous sortons tous du Manteau», dira Tourguéniev ; et Dostoïevski s'en inspirera dans les Pauvres Gens. Mais, pour qui relit aujourd'hui cette admirable nouvelle, la sensation «baroque» demeure dominante, Gogol a eu beau donner, de ci de là un coup de pouce dans le sens moralisant, sa manière acerbe a vite pris le dessus...
Ne nous plaignons point : ni le sentimentalisme ni le réalisme pur ne sont le fait de Gogol. On a souvent blâmé le dénouement du Manteau ; s'il peut paraître postiche, il n'en est pas moins tout à fait «gogolien» ; ne fallait-il pas montrer qu'«il arrive toutes sortes de choses en ce bas monde?»
Voilà, sous une forme ou sous une autre, le leitmotiv de l'œuvre de Gogol... Son réalisme est proprement irréel, s'il est permis d'accoupler ces deux mots. Il laisse une profonde impression de malaise. C'est en cela que consiste son originalité. Cette note unique dans la littérature du XIXᵉ siècle, il faut, pour en trouver l'équivalent, traverser toute l'Europe et la demander à un autre art, à la peinture de Goya.
La Calèche, écrite en 1835, a paru dans le Contemporain, de Pouchkine...
En 1835, Gogol avait inséré dans ses Arabesques une nouvelle intitulée le Portrait où il traitait un thème cher aux romantiques, celui de la possession démoniaque... Ému des critiques acariâtres qu'avait soulevées cette nouvelle, Gogol voulut aussitôt la refondre, mais ne put le faire que durant ses séjours à Rome (1839-1841)...
Gogol, qui vient d'écrire la première partie des Âmes mortes, sent déjà se dresser devant lui la douloureuse interrogation : «Peindre de plats coquins, des brutes, des criminels, ne serait-il point un péché?» Le voilà engagé sur la voie où, pour sauver son âme, il devait égarer son génie. On trouvera des traces de cet état d'esprit dans le fragment intitulé Rome...
En dépit de sa valeur littéraire, ce fragment n'avait jamais été traduit en français, non plus que les Notes sur Saint-Pétersbourg... Ces Notes constituent un curieux appendice au morceau précédent. Il est piquant de comparer l'impression qu'avant les capitales européennes les grandes villes de son pays avaient laissée sur la rétine de Gogol ; en présence des choses de Russie, son trait est plus accentué, l'humour plus narquois, et la vision, plus floue, devient vite hallucination.