Un sou par homme

Trad. de l'anglais par Marie Tadié
Collection L'Air du Temps
Gallimard
Parution
Ceux qui ont apprécié dans Le lapin blanc la sobriété du style dont Bruce Marshall avait usé pour relater les aventures d'un grand héros de la Résistance, goûteront avec Un sou par homme la versatilité du talent du célèbre auteur anglais. L'œuvre est ici très personnelle, tendre, empreinte tout au long d'un humour exquis. Bruce Marshall a campé un personnage inoubliable, celui de l'abbé Gaston, humble prêtre d'une paroisse élégante. Le Seigneur, qu'il sert de toute son âme avec une naïveté bien proche de la grandeur, semble avoir jalonné sa route d'embûches.
Le chanoine Litry comprend mal les élans de ce cœur simple lorsqu'il le rencontre sablant le champagne avec des mannequins ou secourant les femmes de petite vertu. Il ne comprendrait sans doute pas que l'abbé qui, éprouvant un coupable besoin de tendresse, a recueilli un chat – Casanova des gouttières du quartier – dise, lors de sa mort, une prière pour le cas où le Seigneur, dans sa miséricorde, aurait prévu un coin de paradis pour matous non repentis.
De la guerre de 1914, l'abbé a conservé une forte claudication et la précieuse amitié de Bessier, «farouche» révolutionnaire. La claudication interdit au petit abbé Gaston de dire sa messe au maître autel – on ne saurait risquer de choquer les ouailles de Saint-Clovis – et l'amitié qu'il porte à son camarade d'armes l'entraînera, lors de la dernière guerre, à sauver un Anglais, comme sa compassion le fera secourir une réfugiée allemande et protéger ses amours. Embûches incessantes à travers lesquelles l'abbé Gaston s'efforce en boitillant de gagner son Paradis.
L'ouvrage, que l'on soit croyant ou non, se lit d'un trait car, reflétée dans le luxe de la pauvre soutane de l'abbé, se dessine une surprenante fresque de la France au cours du dernier demi-siècle et maints traits savoureux sur les hauts dignitaires ecclésiastiques, telle la scène de la piscine, en Amérique, après un congrès catholique, qui est d'une irrésistible drôlerie.
La France et les Français de Bruce Marshall sont plus vrais que nature, et c'est là chose surprenante. Sans doute appartenait-il à un étranger de savoir, mieux que l'un des nôtres, saisir et apprécier ces mille riens qui font un peuple. Il faut ajouter que Bruce Marshall, qui est natif d'Édimbourg, a vécu de longues années en France, et que sa compréhension et son amour pour notre pays sont présents à chaque page de Un sou par homme qui, traduit dans toutes les langues, connaît des tirages record.