«Peintre inconnu»

Trad. du russe par Claude Frioux
Collection Littératures soviétiques (no20)
Gallimard
Parution
Ce roman ne se résume pas plus qu'il ne se laisse classer. Hors série dans la littérature soviétique et l'œuvre même de Kavérine, il est pourtant le résumé de toute une vie et de toute une époque. Un monde fantastique ici se marie avec une société où les changements sont si rapides que le matériel contemporain se transforme d'emblée en matériel historique. L'étrange chez ce Hoffmann ou ce Poe, comme on voudra, est précisément le souci du réel. «Peintre inconnu» est comme le condensé des aventures intellectuelles de son auteur en une histoire singulière, violente et rapide, où s'affirme le système propre à Kavérine des «lignes multiples» dans le roman, qu'il a, dès son premier récit en 1920 (Les onze axiomes), transposé de la géométrie non euclidienne de Lobatchevski.
Véniamine Alexandrovitch Kavérine, né en 1902, arrive en 1919-1920 de sa province à Moscou et à Pétrograd, il entre dans le groupe des Frères Sérapion avec Vsévolov Ivanov, Fédine, Tikhonov, Chklovski. Il écrit pendant une dizaine d'années des contes dont les protagonistes sont des alchimistes, des prestidigitateurs, des moines médiévaux et l'auteur lui-même décidant avec eux de leur destinée. Un essai sur les bas-fonds de Leningrad, La fin de Khaza, fait scandale. Son premier roman, en 1928, naît d'un défi : Un scandaliste ou Les soirées de l'île Vassilievski est écrit «d'après nature». La mode étant aux brigades littéraires qui allaient sur place étudier les chantiers des grandes constructions, Kavérine se rend en 1930 au sovkhoze céréalier Le Géant, dans la steppe de Salsk (qu'on retrouvera dans «Peintre inconnu»), d'où il ramène Prologue, série de récits, dont la critique ne laissera pas pierre sur pierre. Plus de trois ans alors lui seront pris par le roman L'accomplissement du désir qui, malgré l'appui de Gorki, ne lui conciliera pas plus la critique.
Dans «Peintre inconnu», qui est de 1931, nous retrouvons toutes les étapes de la pensée de son auteur, le peuple singulier de ses récits, la société soviétique et une maîtrise qui fait de Kavérine un des écrivains les plus insolites de notre siècle. Deux grands romans (Deux capitaines, commencé avant la guerre, et la trilogie Le Livre ouvert) marquent la dernière période de cette œuvre à bien des égards déconcertante.