Lettres à Alfred de Vigny

Édition de Charles Gaudier
Gallimard
Parution
«Les lettres que voici ont été écrites au cours de ces sept années durant lesquelles, à en croire Alfred de Vigny, Marie Dorval a pris son âme, a bu son sang comme un vampire. En l'absence de toute indication, la première peut être datée de Paris, fin 1832 ; la liaison des deux amants remonte déjà à un an (octobre 1831), mais les premiers nuages apparaissent. La dernière est du 15 ou du 22 juillet 1838 ; elle constate une rupture.
Il n'est pas douteux que la révélation de cette correspondance est d'une importance capitale : elle permet de restituer à Marie Dorval son vrai visage, de rejoindre à travers elle ce qu'était Alfred de Vigny au temps de leur amour, de percer l'amant et l'homme, enfin, et sans prétendre prononcer une sorte de condamnation "aux torts et griefs", ce qui serait un peu puéril et n'irait pas très loin, de se faire une opinion motivée sur ce qui aurait été le drame de sa vie.
Leur liaison fut orageuse, et la rupture dramatique. Pour justifier le poète, pour expliquer son attitude, on a adopté la thèse de l'envoûtement du fils incomparable qui, pour son bonheur, aurait mieux fait, suivant le conseil de sa mère, de ne jamais parler à "cette espèce de femmes aussi justement méprisées par leur état que par leurs mœurs". En face du Séraphin, on a dressé la drôlesse, la perfide maîtresse. Le contraste est plus sommaire que satisfaisant et sans grand profit peut-être pour Vigny, dont le drame intérieur resterait plus émouvant, ramené à des proportions moins conventionnelles. L'admiration avait en réalité conduit Marie Dorval à un très grand amour : "Au milieu de tous mes égarements, c'est toujours lui que j'ai aimé le plus ; sa jalousie a éteint mon amour, mais, à présent, je sens que ma tendresse amie était profonde. Tout me manque, jusqu'à la faculté d'en aimer un autre."
La plaie ouverte s'est-elle jamais refermée? La croix de bois noire plantée sur la tombe où repose l'actrice au cimetière de Montparnasse porte ses simples mots : "Marie Dorval morte de chagrin".»
René Gaudier.