Les sources et le sens du communisme russe

Trad. du russe par Alexis Nerville
Collection Les Essais (no8)
Gallimard
Parution
Dans l'ouvrage que nous présentons aujourd'hui au public, Nicolas Berdiaev étudie les racines que le communisme, ou plutôt le léninisme, pousse très loin dans le sol de la pensée russe. Lui-même participa jadis au mouvement socialiste, et, dès l'âge de vingt ans, ainsi que beaucoup de jeunes gens appartenant comme lui à des milieux aristocratiques, connut la prison politique et la relégation dans les provinces éloignées de l'Empire. L'idéalisme qu'il professait alors sous l'inlluence dé la philosophie allemande, et qui portait en germe ses futurs désaccords avec les partis avancés, devait se transformer par la suite en une adhésion totale au christianisme. C'est précisément à cause de ses convictions religieuses que Nicolas Berdiaev qui, en I920, avait été élu professeur par l'Université de Moscou, fut, en I922, compris sur une liste d'intellectuels proscrits, et qu'il dut quitter la Russie.
Dans Sources et sens du communisme russe, l'auteur montre qu'en raison sans doute de l'immensité de leur territoire et de sa configuration imprécise, les Russes se sont toujours forgé à l'intérieur de cette partie trop vaste, une construction idéologique à laquelle ils puissent s'attacher. Longtemps, ce fut la «Troisième Rome», le rêve de la Byzance perdue. Puis, au XVIIIᵉ siècle, quand par suite du Schisme et des réformes de Pierre le Grand, la foi religieuse fléchit, cette notion fut remplacée par une autre, empreinte d'un mysticisme égal, l'idée de la supériorité du peuple russe, du moujik. Berdiaev étudie d'une façon magistrale les diverses formes que revêt, au cours du XIXᵉ siècle, cette nouvelle foi qui anime l'intelligentzia. Les portraits qu'il trace de certains révolutionnaires sont saisissants. Le lecteur français ignore peut-être jusqu'à leur nom, et pourtant il les reconnaîtra en les voyant passer, car ils ont servi de prototypes à plus d'un héros des grands romans russes.
À la fin du XIXᵉ siècle, le marxisme fait son apparition, et alors par une troisième transformation, le mythe du peuple paysan va se changer en mythe du prolétariat. Berdiaev explique comment le concept de l'Allemand Marx, élaboré au contact des masses industrielles anglaises, va subir un processus de «russification» ; comment, par conséquent, le communisme tel qu'il a triomphé en Russie, s'insère dans la tradition révolutionnaire de ce pays, et en incarne même les tendances les plus autochtones contre les plus internationales. Et tandis qu'idéologiquement, il place ainsi la Révolution russe dans le prolongement du mouvement révolutionnaire de la pensée, historiquement, il relie ses fondateurs aux fondateurs de l'Empire, aux grands-princes de Moscou, «rassembleurs des terres», et aux premiers Romanoff. «Lénine, écrit Berdiaev, unissait en lui deux traditions, – la tradition de l'intelligentzia révolutionnaire dans ses tendances les plus extrêmes, et la tradition russe du pouvoir dans ses manifestations les plus despotiques».