Courrier d'Asie

Gallimard
Parution
«Les trois récits qui composent ce volume marquent le début d'un genre littéraire absolument neuf : le reportage-romancé.
O.-P. Gilbert y parcourt, en sens inverse, l'itinéraire si souvent accompli par les écrivains, de la fiction à la réalité. Alors que le roman essaie communément de reconstruire l'imaginaire, d'après les patrons de l'expérience vécue, le reportage-romancé, lui, s'efforce au contraire d'ordonner l'expérience vécue, sur le plan des créations fictives de l'esprit.
C'est, peut-être, que la vérité lorsqu'elle se manifeste très loin de nos limites familières sur les chemins assez peu fréquentés, quoi qu'on en puisse penser de l'aventure et de l'exil, est la chose la plus difficile à faire admettre. À beau mentir qui vient de près. En revanche, celui qui risque sa santé et parfois sa vie afin d'aller au bout du monde rassembler les éléments de drames exceptionnels, rapporte souvent dans ses bagages des richesses trop inquiétantes, pour que les banques soupçonneuses du sens commun acceptent de les escompter au débarcadère.
La lente déchéance d'un livreur de bétail humain, sur les mers de Chine, les tragédies quasi-quotidiennes du rail au Yunnan, la grande pitié des femmes russes de Shanghai exigeaient, on en conviendra, des passeports spéciaux. Seul la formule transactionnelle du reportage-romancé se trouvait en mesure de le leur délivrer. Si l'auteur de Mollenard s'y rallie dans son dernier livre c'est uniquement sans doute parce que le vrai peut quelquefois ne pas être vraisemblable. Nous savons à quel point le souci de l'exactitude s'impose à O.-P. Gilbert comme une nécessité physique. "Je ne peux pas décrire, a-t-il avoué à maintes reprises, ce que je n'ai point vu".
Aussi, dès que le Courrier d'Asie eut accosté, en vîmes-nous débarqué, la première, une passagère voilée mais que nous reconnûmes aussitôt : la vérité.»
Arno Charles Brun.