Les eaux du Jarama

El Jarama
Trad. de l'espagnol par Jean-Francis Reille
Gallimard
Parution
N'appartient plus au catalogue de l'éditeur depuis 
2007
Un dimanche d'été comme les autres, sur les bords du Jarama, à seize kilomètres de Madrid.
Le matin monte, lumineux, sur San Fernando et, dans son petit café-guinguette, Mauricio sert son premier client, le vieux Lucio qui restera là, sur sa chaise, sans bouger, jusqu'à la nuit. Il va faire très chaud. Il y aura beaucoup de monde sur le Jarama, cet après-midi...
Un jeune homme et une jeune fille arrivent en moto. Leurs camarades les suivent, bigarrés, joyeux, excités. Onze en tout, filles et garçons (mais le chiffre est impair) : Sebastian , Carmen, Tito , Mely, Paulina, Miguel, Alicia, Daniel, Luci, Fernando, Santos. Loin du garage, de la boutique, du stand, de l'atelier où ils ont travaillé six longs jours, ils viennent s'offrir le repos du septième jour, trop attendu. Nons les suivons pas à pas, tout du long de leur démarche : rires et disputes, soucis, joies, désirs et peines : tout cela est franc, violent, profond et jeune.
Cependant, dans le petit café de Mauricio où l'auteur nous ramène constamment, à travers les chemins poudreux du coteau, dans ce paysage caniculaire de garrigues, les habitués arrivent, boivent, discutent, s'en vont pour déjeuner, reviennent : les deux bouchers, le coiffeur, le garde-barrière, le sergent de ville, le secrétaire de mairie, un berger, un jardinier, un maçon, un chauffeur de camion, et Don Marnal poussant la chaise roulante de Coca, l'infirme pétulant, farceur , querelleur, inoubliable. On joue à la grenouille et aux dominos, on parle de ses problèmes, de la vie en général, on est heureux d'être ensemble.
Sur la rive du Jarama, où le soir est venu, Daniel, Luci (la petite fille seule, timide et pudique), et Tito, pour tromper la tristesse et la solitude, se sont mis à boire. Pour rire . Mais la tête de Luci tourne : elle se fait embrasser par Tito... Et tandis que la majorité de la bande danse chez Mauricio au son d'un vieux phono avec une autre bande amie, Luci se noie : Tito , Sebastian et Paulina étaient entrés dans l'eau avec elle, pour une dernière baignade ; ils l'ont vue se débattre... Quand on a repêché son corps, elle était morte.
Le dimanche s'épuise. Le corps de Luci git au milieu de ses camarades bouleversés. Dans la cave de la guinguette, le juge procède aux interrogatoires d'usage. Là-haut, les uns après les autres, les clients de Mauricio s'en vont. Pour nos jeunes gens aussi, maintenant, c'est le départ, sauf pour Luci qui reste, nue, sur la table de marbre du cimetière. La lune s'est levée. Lucio s'en va à son tour. Mauricio éteint la salle. En bas, solitaire, le Jarama roule ses eaux rouges, maintenant argentées, vers le fleuve qui les emportera vers la mer.
Un dimanche comme les autres vient de s'écouler – et c'est toute la jeunesse d'Espagne que nous avons appris à connaître à travers ses heures. Par cette œuvre qui a obtenu le prix Nadal, le Goncourt espagnol, Ferlosio, dont on a aimé Les Inventions et Périgrinations d'Alfanhuí, s'affirme comme l'un des talents les plus rigoureux de sa génération.