La grande pitié du Royaume de France

. Imagerie en trois moments
Gallimard
Parution
«On m'avait commandé une œuvre sur Jeanne d'Arc – pour le cinquième centenaire de sa réhabilitation – alors que j'envisageais un drame sur Charles VI. Je pensais faire tenir les deux ensemble, 1380-1430. Mais pour ces cinquante ans – et lesquels! – de notre histoire, on m'accordait deux heures et quart de spectacle. Force fut de trouver un procédé.
On voit dans Michelet que la Danse Macabre, avant d'être la fresque fameuse, fut une danse convulsée, que des dizaines de milliers de Parisiens dansaient à longueur de jour au Charnier des Innocents sur les cadavres mal recouverts de leurs proches. Jeanne d'Arc n'avait pas seulement sauvé la France d'une occupation militaire, mais aussi et surtout du pire désespoir, frénétique et gai. J'imaginai que le premier salut était dû à son action, le deuxième à sa Passion : martyre, abjuration, agonie solitaire.
Dès lors tout s'organisait ainsi : au seuil de l'Enfer, dans une dernière danse macabre, la Mort fouette et fouaille un peuple damné de lui-même. Mais alors qu'elle semble maquerelle du Diable, en fait et en secret elle est alliée à Dieu pour le salut des humains, et va "engeigner" Satan... Comment? Elle découvre dans ce convoi de maudits une sainte assez humble et désespérée par son reniement, sa condamnation d'Église, sa mort pénible, pour se croire elle-même damnée. Elle l'aide, et les chocs Jeanne-Satan muent l'Enfer en Ciel, à travers un Purgatoire où se répètent les péchés, les crimes, bref l'histoire du temps, dans l'ordre que la marche au salut exige. Tout sera gagné quand, par-delà les combats et les charités, elle consentira au plus dur : revivre la dernière agonie de son âme... Il ya là une pauvre imitation de la Passion rédemptrice du Christ, qui n'est peut-être pas contraire à une compréhension de la France.»
Maurice Clavel.