L'amour de soi-même

Collection Blanche
Gallimard
Parution
«Les mains d'Eveline Brucard ne sont pas faites pour panser la douleur. Jusque dans cette veine la plus bleue sur laquelle le héros de Shakespeare voulait appuyer sa bouche, coule ce poison incolore, inodore, insipide qui est proprement l'amour démesuré qu'elle se porte à elle-même.
Elle a : le souci de son corps (les conseils des magazines ont pour elle toute la rigueur de la théorie militaire. Et un jour, il m'en souvient, une impassible et dure petite lectrice qui doit signer Œil Bleu, m'a dit : "Je ne pleure jamais! Pleurer abîme les yeux !) l'énergie garçonnière, la beauté, la fortune, un certain courage, et surtout, le désir de plaire.
Il lui manque : le goût du sacrifice, le laisser-aller des sentimentales, la paresse amie des songes, quelques-unes de ces contraintes qui sont l'architecture de la vie, l'intérêt pour le plaisir d'autrui, les larmes qui font voir clair, l'humilité, la douceur, Dieu.
Elle vit libre comme un garçon, trébuche dans ce vide plein d'aventures.
Qu'un homme qu'elle dédaignait la préfère à la vie, et la voilà jetée dans le feu d'une passion dont elle seule est l'aliment. Son père, bourgeois veule et fait de ce tissu qui tente le fouet, ne l'a point détournée de cette route, au bout de laquelle il n'y a que l'ombre. Et ce n'est point sa mère qui l'eût pu guider, elle qui se croit dévouée quand elle parfume le mouchoir de sa fille!
Eveline ressemble à quelques demoiselles de son temps. Le cinéma fut sa véritable école. C'est une vamp. Une sensation, et non pas un vrai mouvement du cœur, la fait briller de tout son éclat.»
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