De la sainte Russie à l'U.R.S.S.
Préface de Francis Jourdain
Avec six cartes
Collection Problèmes et Documents
Gallimard
Parution
«Il existe un problème des livres sur l'U.R.S.S. Pourquoi la plupart d'entre eux laissent-ils insatisfait le lecteur soucieux avant tout de s'informer?
La Russie a toujours été un des pays les plus mal connus, et singulièrement en France. Les distances, les difficultés de la langue, des communications, l'éloignement des habitudes, des modes de vivre, de sentir et de penser, le défaut de renseignements précis, les barrières d'une machine bureaucratique énorme, ont été bien rarement surmontés...
Pour que les problèmes fussent saisis dans leur ampleur, aux intuitions devaient s'ajouter des connaissances ethniques, économiques, politiques qui souvent, pour nous, faute d'ouvrages de synthèse publiés en français, sont fort difficiles à acquérir.
Et voilà que de surcroît cette terra incognita est brassée à partir de 1917 par une ample Révolution sociale – la plus profonde des temps modernes. En face d'elle on sait quelles passions se sont dressées. La connaissance de la Russie, pour l'étranger, se compliquait encore... Qu'en est-il résulté pour la littérature consacrée à l'U.R.S.S.?
D'un côté on a vu pulluler des "témoignages" où l'ignorance du pays, de son histoire, de sa population se double d'une incompréhension systématique de la Révolution. Or quel que soit le morceau de planète où il erre, le voyageur véritable – l'homme parmi d'autres hommes, ne peut se passer, au sens actif et intact du mot, de sympathie. Mais moins que partout ailleurs en U.R.S.S. où l'exotisme lui paraît double, celui des peuples et des institutions, – où les distances sont à la fois ethniques et sociales.
Ce n'est pas tout : maintes institutions, maints problèmes et "tournants" de l'agriculture ou de l'art, de l'industrie ou de la politique,maints emballements ou lenteurs demeurent inexplicables sans une certaine connaissance de la doctrine qui est celle des artisans de la Révolution d'Octobre et des bâtisseurs de la Russie nouvelle, – le marxisme.
Ailleurs, dans le groupe des amis communistes de l'U.R.S.S., aidés souvent par cette formation doctrinale et en tout cas par cette sympathie, se profilent d'autres dangers : l'emportement de la passion, l'enthousiasme sans mesure et sans critique qui entraîne au ton "alleluiste" – comme on l'appelle en U.R.S.S. même.
Je sais les limites de ce livre qui ne prétend nullement être une "somme" sur l'U.R.S.S. mais s'en tient délibérément aux domaines où j'ai personnellement enquêté au cours de trois séjours, entre septembre 1932 et octobre I936 : l'enseignement, l'industrie, la condition matérielle et intellectuelle des ouvriers, les discussions dans le domaine de la morale pratique, de l'art, de la science, de la philosophie m'ont le plus longuement retenu...
Ce parti pris de limitation présentait des inconvénients que je mesure tout le premier et un avantage qui m'a paru décisif : l'U.R.S.S. est un monde complexe où plus qu'ailleurs, par suite de la structure planifiée de l'économie sociale, tout se tient étroitement. Ne vaut-il pas mieux saisir quelques anneaux de la chaîne que de la laisser, en fin de compte, glisser tout entière entre ses mains et n'en rien retenir?»
Georges Friedmann.
La Russie a toujours été un des pays les plus mal connus, et singulièrement en France. Les distances, les difficultés de la langue, des communications, l'éloignement des habitudes, des modes de vivre, de sentir et de penser, le défaut de renseignements précis, les barrières d'une machine bureaucratique énorme, ont été bien rarement surmontés...
Pour que les problèmes fussent saisis dans leur ampleur, aux intuitions devaient s'ajouter des connaissances ethniques, économiques, politiques qui souvent, pour nous, faute d'ouvrages de synthèse publiés en français, sont fort difficiles à acquérir.
Et voilà que de surcroît cette terra incognita est brassée à partir de 1917 par une ample Révolution sociale – la plus profonde des temps modernes. En face d'elle on sait quelles passions se sont dressées. La connaissance de la Russie, pour l'étranger, se compliquait encore... Qu'en est-il résulté pour la littérature consacrée à l'U.R.S.S.?
D'un côté on a vu pulluler des "témoignages" où l'ignorance du pays, de son histoire, de sa population se double d'une incompréhension systématique de la Révolution. Or quel que soit le morceau de planète où il erre, le voyageur véritable – l'homme parmi d'autres hommes, ne peut se passer, au sens actif et intact du mot, de sympathie. Mais moins que partout ailleurs en U.R.S.S. où l'exotisme lui paraît double, celui des peuples et des institutions, – où les distances sont à la fois ethniques et sociales.
Ce n'est pas tout : maintes institutions, maints problèmes et "tournants" de l'agriculture ou de l'art, de l'industrie ou de la politique,maints emballements ou lenteurs demeurent inexplicables sans une certaine connaissance de la doctrine qui est celle des artisans de la Révolution d'Octobre et des bâtisseurs de la Russie nouvelle, – le marxisme.
Ailleurs, dans le groupe des amis communistes de l'U.R.S.S., aidés souvent par cette formation doctrinale et en tout cas par cette sympathie, se profilent d'autres dangers : l'emportement de la passion, l'enthousiasme sans mesure et sans critique qui entraîne au ton "alleluiste" – comme on l'appelle en U.R.S.S. même.
Je sais les limites de ce livre qui ne prétend nullement être une "somme" sur l'U.R.S.S. mais s'en tient délibérément aux domaines où j'ai personnellement enquêté au cours de trois séjours, entre septembre 1932 et octobre I936 : l'enseignement, l'industrie, la condition matérielle et intellectuelle des ouvriers, les discussions dans le domaine de la morale pratique, de l'art, de la science, de la philosophie m'ont le plus longuement retenu...
Ce parti pris de limitation présentait des inconvénients que je mesure tout le premier et un avantage qui m'a paru décisif : l'U.R.S.S. est un monde complexe où plus qu'ailleurs, par suite de la structure planifiée de l'économie sociale, tout se tient étroitement. Ne vaut-il pas mieux saisir quelques anneaux de la chaîne que de la laisser, en fin de compte, glisser tout entière entre ses mains et n'en rien retenir?»
Georges Friedmann.