Adolf Hitler, mon ami d'enfance

Trad. de l'allemand par Lise Graf
Collection L'Air du Temps
Gallimard
Parution
Le livre d'Auguste Kubizek est d'une lecture passionnante. Au contraire des livres à sensation publiés sur les dictateurs, celui-ci ne prétend offrir aucune révélation spectaculaire, si ce n'est la plus fascinante de toutes. En effet, grâce à un récit d'une authenticité criante, l'auteur, sans jamais se permettre le moindre commentaire, nous livre la période la plus importante de la formation d'un être : son adolescence.
Soucieux avant tout de vérité, d'objectivité, Auguste Kubizek, qui a partagé quatre ans durant la chambre du jeune Hitler, et qui est, lui, apolitique, s'est efforcé, nous dit-iI dans son avant-propos, de raconter très simplement la vie au jour le jour de deux jeunes garçons obscurs et pauvres, en oubliant le destin extraordinaire que devait connaître son ami . Il a écrit «comme si Adolf Hitler n'était jamais devenu le chancelier Hitler».
Ce volume est un témoignage sans prix pour ceux qui aiment, à la lumière de faits précis, se faire une opinion personnelle, et combien plus révélateur que tant d'autres : œuvres de pseudo-historiens ou psychiatres, écrites le plus souvent dans un esprit tendancieux. Hitler, le trop célèbre chancelier, nous le trouvons tout entier chez ce garçon de quinze ans qui, sans relâche, fait les plans de reconstruction de sa ville, met sur pied avec le plus grand sérieux l'orchestre ambulant grâce auquel tous pourront apprécier l'œuvre de son dieu : Wagner.
Le chancelier Hitler, ce grand solitaire, c'est ce jeune garçon qui se donne corps et âme à son amour pour Stéphanie. Cet amour, qu'il veut parfait, il le vivra seul, affirmant que les regards suffisent à deux êtres pour se comprendre. «Adolf, nous dit l'auteur, logeait dans son cerveau une véritable bibliothèque, et préférait renoncer à toute sortie s'il ne pouvait emporter un livre».
Le récit est dénué d'artifices et souvent plein de l'humour qui découle des situations. Le jeune Adolf, poète, peintre, auteur dramatique, architecte en herbe, décide d'écrire un opéra. Il ordonne à Kubizek, alors élève du Conservatoire, d'en composer la musique. Comme celui-ci tarde, son ami décide de s'en charger, et laisse éclater sa fureur lorsque le jeune musicien se déclare incapable de transcrire une ouverture qui ne tient compte d'aucune règle. Le mot «impossible» n'a pas de sens pour le jeune homme, et l'auteur devra se résigner à passer plusieurs nuits à s'efforcer de transcrire cette ouverture, qui est un tout homogène dans l'esprit de son ami, comme il devra, quatre ans durant, l'écouter, jour et nuit, exposer ses idées sur les problèmes sociaux, moraux, sur l'art, l'architecture.
À cette époque, Hitler ne s'occupe pas de politique, et s'il avait réussi le concours d'entrée aux Beaux·Arts, classe d'architecture, on peut se demander si la face du monde n'en eût pas été changée.
Si le héros du livre était un inconnu, il n'en serait pas moins remarquablement intéressant, c'est dire à quel point l'auteur a atteint le but qu'il se proposait.