« Décidément, j'aime les catalogues, c'est presque aussi beau qu'un indicateur de chemin de fer, on y voyage. » (Gaston Gallimard, 1916) On pourrait écrire sans effort une histoire de la littérature et des idées au XXe siècle à la lecture du seul catalogue des Éditions Gallimard. Derrière la célèbre couverture blanche aux filets rouges et noir siglée NRF se cache la richesse d’un catalogue aux multiples facettes, de la « Série noire » à la « Pléiade », du livre pour enfants aux collections de sciences humaines. Tout lecteur peut y trouver son bien, avant même d’entrer dans le secret des choix, raisons et pratiques qui sont le propre de la « fabrique éditoriale ». Téléchargez l'historique
Les premiers livres des Éditions de la Nouvelle Revue française paraissent en juin 1911 : L’Otage de Paul Claudel, Isabelle d’André Gide et La Mère et l’enfant de Charles-Louis Philippe. Le modeste « comptoir d’édition » qui les fait paraître est celui de La NRF, revue de littérature et de critique créée en 1909 par un groupe d’écrivains réunis autour d’André Gide. Comme ils le font déjà pour la revue, André Gide et Jean Schlumberger sont prêts à assumer les frais de la jeune maison d’édition. Mais il faut un homme pour gérer l’affaire : ce sera Gaston Gallimard.
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André Gide a fait la connaissance de Gaston Gallimard en 1906. Le jeune homme, dont le père est propriétaire du Théâtre des Variétés et collectionneur de peintures, de gravures et de livres rares, est un élégant représentant de la bohème bourgeoise de la rive droite. Né le 18 janvier 1881, familier des milieux artistes, il n’a encore rien sacrifié de son dilettantisme lorsque Jean Schlumberger lui propose, en octobre 1910, de prendre la gérance du comptoir d’édition. Gaston a du goût, des relations et, semble-t-il, quelque fortune. C’est un bon parti pour La NRF. Le 31 mai 1911, Gaston Gallimard signe avec André Gide et Jean Schlumberger l’acte qui donne naissance aux Éditions de la NRF.
La proximité entre la revue et la maison d’édition est fructueuse. Le catalogue des Éditions s’enrichit d’auteurs de La NRF (André Gide, Paul Claudel, Saintleger Leger, Léon-Paul Fargue, Jacques Rivière, Valery Larbaud, André Suarès, Jules Romains, Jean-Richard Bloch…) comme d’écrivains venus directement à elles (Pierre Drieu la Rochelle, Roger Martin du Gard…).
Même ralentie par les contraintes et circonstances de guerre, l’activité des Éditions se prolonge durant le conflit, sous la vigilance de Gaston Gallimard : c’est ainsi que paraît en 1917 La Jeune Parque, marquant le grand retour de Paul Valéry à la poésie ; publié en juin 1919 par les Éditions de la NRF, À l’ombre des jeunes filles en fleurs de Marcel Proust (qui s’était vu refuser par André Gide et Jean Schlumberger la publication du premier volume de À la recherche du Temps perdu…) reçoit le prix Goncourt 1919.
En juin 1919, Gaston Gallimard crée la Librairie Gallimard avec son frère Raymond et son ami Emmanuel, dit Maney, Couvreux, tout en imposant Jacques Rivière à la direction de la revue.
À la mort de son fondateur, le jour de Noël 1975, Gallimard est une maison dotée d’un catalogue de référence. Claude Gallimard doit continuer à développer l’entreprise familiale où il fait entrer ses quatre enfants. C’est à son fils cadet, Antoine, qu’il en confiera la présidence en 1988, lequel veillera à en préserver l’indépendance et la créativité.
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Trois grands dossiers marquent le début des années 1970 : la constitution d’une société de distribution (la Sodis) et la mise en place d’équipes de vente ; le lancement de la collection de poche « Folio », bientôt déployée en de nombreuses séries ; la mise sur pied d’un département Jeunesse, confié à Pierre Marchand, créateur de « Folio junior » et de la gamme « Découvertes ».
Les Éditions restent attentives à la littérature de création, révélant les œuvres, dans les années 1980, d’Annie Ernaux, Pierre Bergounioux, Pierre Michon, Christian Bobin et Anne Wiazemsky, tandis que Philippe Sollers reprend en 1987 chez Gallimard « Tel Quel » (revue et collection) à l’enseigne de L’Infini.
Épaulé, en leur temps, par Pascal Quignard et Teresa Cremisi, aujourd’hui entouré d’une équipe solide d’éditeurs et de lecteurs, Antoine Gallimard maintient le cap éditorial d’une maison très littéraire, ouverte à l’international. Les années 1990 et 2000 seront marquées notamment par les arrivées de Philippe Djian, Jean Rouaud, Erri de Luca, Tahar Ben Jelloun, Marie N'Diaye...
La Maison s’inscrit par ailleurs dans la vie des idées, avec « La Bibliothèque des Histoires » (qui participe au renouveau de l’histoire politique), la revue Le Débat de Pierre Nora et Marcel Gauchet ou « NRF Essais » animé par Éric Vigne. Tout en développant son catalogue, la Maison œuvre continûment à l’animation de son fonds tant en poche (« Folio », « L’Imaginaire », « Tel »), qu’en « Pléiade » et en « Quarto ».
Le groupe accueille peu à peu des maisons de caractère, comme Futuropolis, POL, Joëlle Losfeld, Verticales, Alternatives ou les Grandes Personnes ; de nouvelles enseignes éditoriales émergent, à l’image de L’Arpenteur, Quarto ou Giboulées ; tandis que des développements sont lancés autour des guides Gallimard, des livres lus ou de la bande dessinée. Rejoint par Flammarion en 2013, le groupe Gallimard est à ce jour le plus grand éditeur indépendant français, engagé dans la défense de la propriété intellectuelle et de la librairie, œuvrant à la promotion de la lecture et de la créativité éditoriale sur tous supports.
Les années d’entre-deux-guerres voient s’élargir le champ éditorial de Gallimard avec la création de nombreuses collections, littéraires ou non : « Les Peintres nouveaux », « Les Tableaux illustrés », « Les Documents bleus », la « Bibliothèque des idées », « Les Essais », « Vie des hommes illustres », « Du Monde entier »...
La littérature française de création trouve son laboratoire dans « Une Œuvre, un portrait », puis dans « Métamorphoses », qui accueillent les jeunes dadas puis les surréalistes, ainsi que des textes de Marcel Jouhandeau, Francis Ponge, Henri Michaux, Jacques Audiberti, Jean Tardieu... Jean Paulhan, rédacteur en chef de La NRF après la mort de Jacques Rivière en 1925, sera l’un des promoteurs de cette génération nouvelle.
Gaston Gallimard s’entoure de collaborateurs qu’il réunit chaque semaine au sein d’un comité de lecture. Les cadres intellectuels de la revue (Jean Paulhan, Benjamin Crémieux, Ramon Fernandez, Bernard Groethuysen) sont bientôt rejoints par Brice Parain, André Malraux, Marcel Arland, Raymond Queneau. Gallimard apporte dès lors une contribution décisive au renouvellement du roman, associant au catalogue des aînés les œuvres singulières de Paul Morand, Jules Supervielle, Jean Cocteau, Albert Cohen, Marcel Aymé, Joseph Kessel, Antoine de Saint-Exupéry, Jean Giono, André Malraux, Georges Simenon, Raymond Queneau ou Jean-Paul Sartre.
André Malraux, lecteur, éditeur et directeur artistique de la Maison dans les années 1930, sera notamment l’un des promoteurs de la jeune littérature américaine (Ernest Hemingway, John Dos Passos, Erskine Caldwell, William Faulkner et John Steinbeck) qu’accueillent alors les Éditions, aux côtés des œuvres de Luigi Pirandello, Italo Svevo, Franz Kafka, Alfred Döblin, Vladimir Nabokov, Jorge Amado et, en léger différé, James Joyce.
La période est également marquée par la publication des grands textes de Sigmund Freud et d’Alain, l’ouverture à la philosophie (Kierkegaard, Hegel, Heidegger), aux sciences de l’homme (Michel Leiris, Georges Dumézil) et, dans un contexte de plus en plus politisé, par la parution des grands essais de Julien Benda, André Gide, Jean Giono et Georges Bernanos.
Sur les conseils d’André Gide, la Maison accueille en 1933 la prestigieuse « Bibliothèque de la Pléiade ». Fondée deux ans auparavant par l’éditeur Jacques Schiffrin au sein de ses propres Éditions, qui en conserve la direction à la NRF tout en prenant par ailleurs la responsabilité des publications pour la jeunesse, la collection rassemble de maniables et élégants ouvrages d’œuvres complètes ou anthologiques, reliés cuir et imprimés sur papier Bible. Vouée d’abord aux classiques, elle s’ouvrira aux contemporains et donnera davantage de place à l’appareil critique après-guerre.
Les Éditions trouvent leur équilibre économique au début des années 1930 en confiant leur diffusion aux Messageries Hachette et en s’engageant dans la presse populaire et politique avec les hebdomadaires Détective, Voilà et Marianne. L’édition et la presse populaires permettent ainsi à Gaston Gallimard de financer la création, en attendant de recueillir les fruits de sa politique d’auteurs.
De Macao et Cosmage en 1919 au Petit Prince en 1946, en passant par Les Contes du chat perché, la NRF tient une place singulière dans l’édition pour la jeunesse depuis les années 1930 grâce à Brice et Nathalie Parain et Jacques Schiffrin, qui posent à partir de 1934 les fondations d’un département jeunesse, dans la lignée de l’école russe du livre pour enfants.
Repliées en septembre 1939 dans la Manche, les équipes des Éditions se dispersent durant l’exode, les Gallimard et les Paulhan passant l’été 1940 à Carcassonne chez le poète Joë Bousquet. La publication de La NRF est interrompue en juin 1940. Gaston Gallimard décide de revenir à Paris en octobre afin d’éviter une mise sous séquestre de sa société par les autorités d’Occupation.
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Les Allemands exigent de lui des garanties particulières au vu de la « toxicité » de son catalogue de l’entre-deux-guerres et du caractère prétendument « enjuivé » de son capital et ses équipes. La maison Gallimard est suspecte aux yeux de l’Occupant.
Le siège de la NRF est mis sous scellés le 9 novembre ; le 23, un accord est trouvé : Gaston garde la maîtrise de son entreprise en acceptant que soit confiée à l’écrivain collaborationniste Pierre Drieu la Rochelle la direction d’une NRF exclusivement littéraire. Mais la revue, privée peu à peu de ses auteurs « historiques », cessera de paraître en juin 1943... Dans le même temps, la résistance intellectuelle s’est organisée autour de Jean Paulhan au sein même des Éditions.
Cette période complexe est marquée par la révélation des œuvres d’Albert Camus, de Maurice Blanchot et, malgré la censure, par la publication de textes importants de Paul Eluard, Louis Aragon, Jean-Paul Sartre, Raymond Queneau, Antoine de Saint-Exupéry, Ernst Jünger. À la Libération, la revue est interdite par le comité d’épuration, alors que le dossier des Éditions est classé. Jean-Paul Sartre crée Les Temps modernes, puis Jean Paulhan, Les Cahiers de la Pléiade.
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