Pages choisies

Trad. du russe par Boris de Schlœzer
Collection Blanche
Gallimard
Parution
Léon Chestov appartient à ce petit nombre d'esprits sauvages, subtils, adents et libres, qui font la chasse aux vérités pour leur propre compte, sans se préoccuper d'autrui, sans s'inféoder à aucun parti.
Ce ne sont pas les résultats du travail de sa pensée que nous présente l'auteur : c'est le travail lui-même qu'il nous découvre, avec une sincérité dont on ne trouve pas d'exemple. Ce n'est pas pour autrui, c'est pour lui-même qu'il écrit. Nous voyons l'effort du penseur, nous pensons avec lui, nous cherchons, nous creusons profondément, sans idée préconçue, autour d'une question, d'un fait, souvent futile en apparence, mais qui découvre aux yeux du philosophe, un aspect nouveau, inattendu, de la réalité. Il s'attache exclusivement à l'individuel, au fait concret, à l'exceptionnel, à l'anormal. Chestov met ainsi en pratique le conseil de Bergson qui voulait que le philosophe fasse appel au romancier hardi «qui déchire la toile habilement tissée de notre moi conventionnel pour nous montrer sous cette logique apparente, une absurdité fondamentale.» La vraie, l'unique philosophie pour Chestov, est la «philosophie de la tragédie». La révolte de Chestov contre les lois, c'est-à-dire contre la morale et la raison, est essentiellement religieuse, tout comme celle d'un Nietzsche, d'un Dostoïevsky. «Il faut chercher ce qui est supérieur au Bien, dit-il, ce qui est supérieur à la pitié. Il faut chercher Dieu», ce Dieu qui est par delà la Vérité et le Bien et qu'on implore de profundis.