Lawrence et moi

Not I But the Wind
Trad. de l'anglais par Francis de Miomandre et Claude Morestel
Collection Blanche
Gallimard
Parution
«Je ne voulais pas écrire ce livre. Je ne voulais donner à Lawrence que mon silence. M'aurait-il permis de l'écrire? Se serait-il moqué de moi comme de l'un de ces bas-bleus qu'il détestait tant? Y a-t-il quelque utilité à ce que je l'écrive?
Est-ce par envie de chanter mes louanges? Oui, mais ce chant sera-t-il régénérateur, ou bien poussif et discordant? Suis-je encore capable d'entendre le vrai chant de notre vie, avec ses motifs gais, hardis, tristes, terribles? le puis-je?
Après tout, c'est mon propre livre que j'écris. Vais-je m'y reconnaître? ou seulement rapporter des faits sans force et sans couleur?
Est-ce une nécessité de ma nature que d'écrire ces choses? Lawrence n'a-t-il pas déjà tout dit un million de fois et mieux que je ne saurais le faire? Est-ce que tout ceci qui va tant me coûter, fera plaisir à d'autres ou leur sera d'une utilité quelconque? Est-ce que ceux qui viendront après nous gagneront quelque chose à connaître notre vie? En retiendront- ils le meilleur afin d'éviter nos erreurs? Je me le demande...
De toutes façons, je vais essayer d'écrire aussi honnêtement que possible. Le mensonge est très beau, mais la vérité me semble tellement plus intéressante et plus fière...
Quant à prétendre comprendre Lawrence ou l'expliquer, je ne suis ni si impertinente ni si folle. Nous sommes tellement plus que ce que nous comprenons. La compréhension est une si petite partie de nous-mêmes, il y a en nous tellement de territoires inexplorés que la compréhension n'atteint pas. Comme Lawrence et moi étions des aventuriers par nature, nous avons exploré.
Quelques fois je le haïssais et le repoussais, comme s'il avait été le diable lui-même. D'autres lois je le prenais comme on prend le temps. Voici un jour de printemps, un soleil magnifique, quelle joie! Puis, un autre jour, hélas, tout est changé : il fait un peu froid et il pleut, et je voudrais, oh! comme je voudrais que le soleil revînt!...
Son amour a effacé toutes mes hontes et mes inhibitions, toutes les chutes et les misères de mon passé. Il a fait de moi un être neuf et frais, afin que je puisse vivre librement et légèrement, comme un oiseau. Il a combattu pour libérer mon être et il a gagné. Tout à fait comme dans ses écrits, il a essayé, avec cet amour farouche el imprégné de responsabilité qu'il avait pour ses semblables, de les libérer du passé suranné, et d'assumer le poids de tous les siècles de pensées et d'émotions mortes.
Fera-t-il progresser le monde, comme il m'a fait progresser, moi, tout le temps? je l'espère...»
Frieda Lawrence.