Brice Parain

La Mort de Socrate

Collection Blanche
Gallimard
Parution
Ce Socrate d'aujourd'hui, on ne l'appelle ainsi d'abord que parce que son père, qui était cantonnier dans un coin d'Île-de-France, avait rêvé sur l'histoire de l'autre en lisant les feuillets roses du dictionnaire Larousse et lui a donné ce nom. Mais il a eu aussi, lui-même, ensuite, étant enfant, l'ambition d'être Socrate. L'aura-t-il été? C'est au lecteur d'en décider. Un peu tout de même, peut-être, dirons-nous pourtant, puisqu'il avait comme l'autre, en plus de sa laideur, le goût et le besoin de comprendre, la passion de la dialectique, l'amour de la justice et de la vérité. Comme l'autre, enfin, il a voulu sauver sa civilisation menacée par l'abus de paroles vaines ; de même que l'autre, il avait trop parlé et discuté pour ne pas avoir finalement envie de se taire et de mourir clairement. Toutefois, sa vie et sa mort ne sont point pareilles à celles de l'ancien. Les rappelleront-elles, pourtant, comme l'auteur l'a voulu? D'une part, les conditions de vie et de pensée ne sont plus les mêmes aujourd'hui qu'à ce moment-là, et peut-être sont-elles plus étouffantes, en fin de compte, que celles des hommes libres dans la Grèce antique. Mais, d'autre part, la recherche de la vérité ne suit-elle pas toujours à peu près le même chemin, quelle que soit l'époque? C'est le mystère du livre, justement.
Notre Socrate, donc, vers 1923, devient dominicain après avoir été soldat, puis polytechnicien, «moins par vocation directe que par pénitence, afin de se réduire à la mesure de son pays qui était malade, ayant besoin qu'on le soigne et se dévoue à lui bien plus qu'on ne l'adore et qu'on le laisse mourir». En 1939, il est de nouveau mobilisé, cette fois comme officier ; il est fait prisonnier; il s'évade, aide son ami Jérôme à déménager une imprimerie clandestine que la Gestapo veut détruire, est arrêté et finalement déporté en Allemagne, où il se fait tuer en arrivant par un S.S. furieux à qui il tient tête.
Telle est, schématisée, l'action de ce roman dont l'intérêt majeur réside dans l'effort de Socrate pour penser et agir dans la vérité. Ce que Socrate y trouve, c'est que rien ne vaut la grâce qu'on reçoit en renonçant à vouloir posséder, pour ne vivre et mourir que dans le dévouement.