L'ombre du Ma-koui

«Si les civilisations d'Occident n'admettent plus aujourd'hui qu'une seule connaissance, celle que nous donne la science, il n'en a pas toujours été ainsi et l'Europe moyen-âgeuse et renaissante a cru à une autre vérité, celle de l'esprit. Les races anciennes de l'Orient prétendent elles aussi posséder une connaissance spirituelle infiniment plus développée que celle de l'Europe. Elle est le privilège d'une élite et il est juste qu'il en soit ainsi, car elle donne à ceux qui la possèdent une irrésistible puissance et il est bon de veiller à ce qu'il n'en soit pas fait un mauvais usage. Malheureusement, à côté des hommes supérieurs, laïcs ou religieux, prospère toute une population de sorciers de bas étage, de devins, de jeteurs de sorts, qui abusent de la crédulité sans borne de leurs concitoyens et qui mettent leur talent à la disposition de ceux qui les payent. J'ai voulu montrer dans ce livre un aspect de cette question, au moins telle qu'elle se présente, aux yeux positifs des Occidentaux.
Le Chinois vit avec ses ancêtres, et les morts tiennent dam sa vie un rôle important, président aux événements familiaux et peuvent être aussi bien des génies protecteurs du foyer que des démons haineux acharnés à sa ruine. Le Ma-koui ne se contente pas de manifester sa présence, il joue un rôle actif dans les rapports des hommes, il peut être bon ou méchant, généreux ou cupide, vertueux ou lubrique, conseiller une excellente affaire ou tuer le fils aimé sur qui repose tout l'espoir familial. Il peut sauver un malade, déjouer un crime ou engrosser une bonzesse qui a fait vœu de chasteté, il donne la paix à Ia province ou contamine de son souffle empoisonné la population d'une ville ou d'une province.
Les faits auxquels j'ai fait allusion dans ce livre m'ont été apportés par des témoins dignes de foi et, s'il m'est impossible de les affirmer ou de les nier, je puis dire qu'il m'a été donné à diverses reprises d'assister à des phénomènes que les lois scientifiques actuelles ne permettent pas d'expliquer. Peut-être devons-nous admettre que les connaissances que nous donnent la science moderne n'embrassent encore qu'une faible partie de la vérité..? Peut-être sont-elles trop exclusivement réservées au monde physique et négligent-elles avec un secret mépris le monde de l'esprit qui est en nous? Peut-être existe-t-il des méthodes de perception différentes des nôtres et des individus qui ont su développer des sens supplémentaires, atrophiés ou inconnus des autres hommes?