Femme
Collection Blanche
Gallimard
Parution
Les esprits critiques vont tout de suite au défaut, à la faille. Une intuition sûre leur révèle chez autrui les plus faibles indices de mesquinerie, de vulgarité ou de sottise. Ils ne voient plus que cela. Leur lucidité fait leur tourment. Elle leur barre tous les chemins. La femme qu'Hélène Froment a choisie pour héroïne possède une infaillibilité plus heureuse. Elle est sensible à la force, à la beauté, à la noblesse : dès qu'elle les a perçues dans un être, elle demeure indifférente aux erreurs, aux insuffisances, aux bavures ; une vague de passion la submerge, elle n'est plus qu'amour. Trois fois, au cours du roman, elle est éprise : d'un aviateur que la mort lui arrache, d'un artiste qui l'abandonne, d'un industriel qui l'épouse. Ces hommes, ce sont eux qui semblent d'abord occuper le devant de la scène : on est sensible à la puissance de vie qui s'affirme en eux, au paisible courage de l'un, à la fantaisie et au charme fuyant du second, à l'inlassable énergie du dernier. On est prêt à les considérer comme les véritables animateurs, les «meneurs de jeu» du roman qu'ils traversent. Mais on ne tarde pas à mieux pénétrer le dessein de l'auteur. C'est au travers du récit de la femme que nous connaissons ces hommes, par ses yeux que nous les voyons. Ils ne nous touchent que comme ils ont su la toucher. Or, chaque fois elle a composé des êtres, elle a tiré des vivants les mythes dont elle avait besoin, elle a trouvé dans des traits, des silences, des rythmes différents une même résonnance unique, celle qui convient à son amour, à son besoin d'amour. Nous discernons alors que l'auteur a voulu nous montrer avec quelle étonnante et merveilleusement inconsciente ingéniosité une femme qui aime sait successivement adapter sa passion à des êtres divers. L'héroïne de ce livre réussit chaque fois à dégager d'hommes très différents les uns des autres le même dosage de faiblesse et de force associées, de noblesse et de vulgarité qui la touche. Ils peuvent poursuivre des desseins divergents, avoir des caractères opposés, ils seront associés dans l'esprit de celle qui les aime à des rêves semblables, son esprit leur fera vivre une vie seconde dans un même climat. On ne sait plus pour finir si l'héroïne de ce livre a connu plusieurs aventures ou une seule : son besoin d'être heureuse se joue des différences, elle retombe dans le choix rigoureux d'émotions qui forme nécessairement son univers. On ne sait plus, à la voir vivre, si elle donne ou si elle conquiert. On aurait été tout près de ne voir en elle qu'une comparse ou une victime : on s'avise qu'au travers de ses souffrances mêmes et de ses plus douloureux abandons elle a toujours su tenir son destin avec un doux entêtement, une stupéfiante intuition et une obscure, inébranlable confiance en soi.