Faut-il brûler Jeanne ?

. Mystère en trois journées
Collection Blanche
Gallimard
Parution
«Je ne sais quel Ange ou quel Démon m'a insinué de traiter, après tant d'illustres prédécesseurs, le sujet sacré de Jeanne, de la Pucelle d'Orléans. Ma modestie à la fois et ma démesure, l'atmosphère aussi de mon époque, l'actualité qui me baigne m'ont conduit à l'imaginer sous un angle téméraire. J'ai vu les Saints, à l'approche du supplice de leur protégée, supplier Dieu de la sauver, de lui éviter Ie bûcher et la mort. L'Éternel a consenti. À cette condition cependant, et terrible, que la prisonnière des Anglais n'entendrait plus les Voix. Car, lorsqu'un être a achevé sa mission, le ciel n'éprouve plus le besoin de lui parler, et le malheureux se trouve seul alors, abandonné, en butte à tous les périls, à toutes les sollicitations, à tous les chantages ; rien ne le soutient.
J'ai donc osé jeter Jeanne parmi les écueils de la réussite apparente, les précipices de la fausse victoire. Écœurée, désespérée, elle criera à la fin à Dieu qu'il eût mieux valu pour elle être brûlée à Rouen. Et le ciel l'exauce, efface de la mémoire des hommes le songe de cette entorse violente à l'histoire, qui reprend son cours.
Ainsi se déroule, ajoutée à la réelle, la tragédie imaginaire de Jeanne d'Arc, dans un temps qui ressemble au nôtre, où les choses qui se refusent à mourir et celles qui résistent à naître se heurtent violemment et, confusément, tendent à déborder et engloutir le héros dès qu'il a rempli la tâche que lui a assignée le destin.»