La Promesse de l'aube de Romain Gary
Romain Gary a déjà publié quatre romans à la NRF – dont Les Racines du ciel couronné par le Prix Goncourt en 1956 –, lorsqu'il annonce en juillet 1958 à Gaston et Claude Gallimard qu’il est sur le point de leur transmettre le manuscrit de ce qu’il nomme alors La Possession du monde. Accordant à ce récit autobiographique une importance particulière, Gary informe ses éditeurs qu’il relira et corrigera personnellement les premières épreuves. Le livre paraîtra en avril 1960 sous le titre La Promesse de l'aube.
« J’ai fini la première correction des épreuves et je me rends brusquement compte que je suis peut-être à deux doigts de laisser derrière moi une marque indélébile » écrit Romain Gary à son éditeur Claude Gallimard le 8 décembre 1958, alors qu’il s’apprête à lui communiquer les épreuves corrigées par ses soins de son chef-d’œuvre autobiographique, La Promesse de l’aube (le titre définitif a été choisi par Gary en septembre 1958, après qu’il eut envisagé La Possession du monde, La Confession de Big Sur et La Course contre la vie). « Il manque peu de chose », poursuit-il : « une ligne générale plus nette entre le voulu et le vécu, un contraste plus souligné entre la dimension de l’âme et celle des mains, et l’humour l’emporte un peu trop sur la poésie, qui est pour moi – la poésie – la seule façon possible de transcender notre condition, et la seule philosophie. Je suis donc à vous dire que je ne considère pas l’ouvrage comme entièrement terminé et je vais passer dessus encore de nombreuses semaines, peut-être des mois. Après, il faudra refaire les placards, pour que je puisse juger le dessin clairement avant d’aborder le marbre. »
Gary accorde une importance particulière à ce texte très personnel, autobiographique, mais porté par une sincère ambition littéraire. Il sera du reste très contrarié d’apprendre, en mars 1959, que les épreuves de son texte circulent déjà de main en main rue Sébastien-Bottin et que « certaines personnes les commentent en ville et en citent les meilleurs morceaux », écrit-il à Claude Gallimard le 2 mars 1959 de Los Angeles, où il occupe le poste de consul général de France. Il précise cependant que Jacques Lemarchand et Albert Camus, tous deux éditeurs à la NRF, ainsi que la famille Gallimard ne sont pas concernés par ces restrictions. Il est alors encore en plein travail et modifie en profondeur son texte : « Je ne veux pas que les mondains, les gandins et les dandins s’en servent comme tremplin de caracolade entre la poire et le fromage. »
Claude Gallimard a déjà lu la première version du texte de Gary et se montre particulièrement patient et compréhensif à son égard : « Malgré les frais très considérables de remaniement que nous aurons, il est, en effet, indispensable que votre livre soit exactement ce que vous le sentez et que sa ligne générale soit la plus nette possible. Je vous ai déjà dit de vive voix combien cette œuvre m’avait touché et tout ce qui pourra la mettre à sa vraie place la perfectionnera, mais c’est un travail difficile et je comprends qu’il vous faille encore plusieurs semaines. » Prévue au printemps 1959, la parution en sera décalée d’une année, le texte définitif ne parvenant à Claude Gallimard que début décembre 1959, avec ce mot d’accompagnement : « Ainsi que vous le verrez en lisant la préface, le livre ne doit pas être présenté au public comme une autobiographie, mais comme un récit. Il s’agit simplement de reconnaître ce fait que lorsqu’on évoque à trente ans de distance des détails, des expressions, des regards, des scènes et des événements, il faut tout de même préciser qu’il s’agit avant tout d’une vérité artistique. »
Paru fin avril 1960, le livre fut bien accueilli, tant en librairie que par la critique. En témoignent l’article d’André Wurmser, qui dans les Lettres françaises du 20 juin 1960 rapproche de façon surprenante La Promesse de l’aube de La Mère et l’enfant (« Romain Gary ne dit pas autre chose que Charles-Louis Philippe : son amour filial, son admiration, sa reconnaissance, sa nostalgie, son chagrin »), et l’article de Claude Roy paru dans l’édition de Libération du 11 mai 1960 : « [Gary] est le Sheherazade de lui-même, se racontant (nous racontant) l’histoire de son histoire, rusé comme un vrai narrateur qui ménage ses effets, mais ne ménage pas ses efforts. […] Je l’ai retrouvé dans La Promesse de l’aube. Il n’y a que ce qui est exagéré qui soit important. J’aime Romain Gary : il exagère. »