Case d'Armons de Guillaume Apollinaire
Parmi les « poèmes de la paix et de la guerre » composés par Guillaume Apollinaire entre 1912 et 1917 et qui formèrent, en avril 1918, le recueil Calligrammes à l'enseigne du Mercure de France, figure un ensemble de vingt-et-un poèmes écrits et publiés pour la première fois sur le front au printemps 1915, sous le titre Case d’Armons.
Avant de former la troisième partie de Calligrammes, les vingt-et-un poèmes de Case d’Armons font l’objet d’un premier tirage le 17 juin 1915. Il ne s’agit alors que d’une mince et fragile plaquette in-8° (210 × 144 mm), parue « Aux Armées de la République ». Elle a été calligraphiée et polycopiée « à la batterie de tir devant l’ennemi » par les maréchaux des logis Lucien Bodard et René Berthier, à l’initiative et sous la vigilance de leur camarade poète, engagé depuis peu.
Apollinaire est au front depuis avril 1915, rattaché à la 45e batterie du 38e régiment d’artillerie alors située en Champagne. Dès le mois de mai, sous le feu des obus, il a le projet de réaliser un petit recueil de ses plus récents poèmes, tiré à soixante exemplaires et vendu depuis le front par souscription, le produit de la vente devant bénéficier pour partie aux blessés de guerre. Il reçoit l’autorisation d’utiliser pour l’impression le duplicateur stencil qui sert alors à la réalisation des papiers et journaux militaires. Le tirage est moins important que prévu. Vingt-cinq exemplaires sont ainsi imprimés à l’encre violette, dûment justifiés dans un motif de canon de 75 – la case d’armons étant une pièce de rangement de la voiture-caisson accompagnant ledit canon, tirée par les chevaux. Ils sont recouverts d’un papier bleu d’écolier renforcé, orné d’une vignette collée en première page de couverture.
Le procédé d’impression n’est pas parfait et contraint les camarades à rehausser à la main, sur chaque exemplaire, certains passages pour les rendre plus lisibles. Il n’est donc pas deux exemplaires identiques de cette édition, d’autant que l’ordre des poèmes varie d’une plaquette à l’autre et que le poète y intervient lui-même par endroits avec des ajouts personnels autographes. Ainsi rehaussé de retouches manuscrites et de documents collés, chaque exemplaire de Case d’Armons constitue un témoignage exceptionnel et unique de la singulière genèse littéraire et éditoriale de Calligrammes. S’y révèlent des différences notables avec l’édition définitive de ces mêmes poèmes, tandis qu’apparaissent parmi les dédicataires les figures chères de Lou et de Madeleine Pagès.
On connaît aujourd’hui l’identité de la plupart des dédicataires et souscripteurs des exemplaires conservés en collections privées ou publiques : Ardengo Soffici, Ambroise Vollard, Alberto Magnelli, André Lefèvre, Madeleine Pagès, Guillaume Apollinaire (n° 7), Jean Royère, Marie Laurencin, Louise Faure-Favier, Joseph Granié, Lou, René Berthier, Gabrielle et Francis Picabia, André Level, Lucien Bodard ; trois autres volumes sont attestés sans que puissent être identifiés avec certitude leur dédicataire et destinataire.
L’exemplaire généreusement mis à disposition par un collectionneur pour l’édition de 2014 porte en justification le numéro 17 du tirage. Il n’était pas encore référencé à ce jour. Il est enrichi d’un envoi autographe de Guillaume Apollinaire à « Monsieur Druet », daté du 1er août 1915. Il s’agit probablement du célèbre galeriste et photographe parisien Eugène Druet (1867-1916).
Ce trésor de la bibliophilie contemporaine, si modeste dans son apparence et comme vibrant de la vie réelle de son créateur, nous offre un émouvant témoignage poétique du front, où s’entremêlent les affaires de l’amour et de la guerre dans un saisissant mouvement d’innovation plastique et littéraire.