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Apollinaire et l'art

Page de titre de l'édition d'Alcools d'Apollinaire au Mercure de France (1913), fac similé, coédition Gallimard / Bibliothèque nationale de France, 2018.

Apollinaire fut un acteur central de la révolution esthétique qui donna naissance à l’art moderne. Critique d’art entre 1902 et 1918, il fréquenta les ateliers, les galeries et les salons, rencontra les peintres, les sculpteurs, les graveurs et les marchands d’art avec lesquels il correspondit, et dont quelques-uns lui inspirèrent textes en prose et poèmes. Nous vous proposons une sélection de textes témoignant de l’acuité et de la singularité du regard critique d'Apollinaire, de son rôle d’intercesseur auprès du public et des liens d’amitié et d’admiration réciproques qu’il entretint avec les artistes de son temps.

« J’ai tant aimé les arts que je suis artilleur. »
Guillaume Apollinaire, 1916

 

Regards d’Apollinaire sur… 

Le cubisme

Le cubisme dont on parle beaucoup a-t-il un sens ? Quelles théories professent les cubistes, et dans quelles conditions le mouvement a-t-il pris naissance ? Nous l’avons demandé à M. Guillaume Apollinaire, l’un des premiers défenseurs du cubisme, qui fournit ici quelques renseignements curieux.

En 1902, au commencement de l’automne, un jeune peintre, de Vlaminck, installé dans l’île de la Grenouillère, peignait le pont de Chatou. Il peignait vite, employant des couleurs pures, et sa toile était presque achevée lorsqu’il entendit tousser derrière lui. C’était un autre peintre, André  Derain, qui examinait son travail avec intérêt. Le nouveau venu s’excusa de sa curiosité sur ce qu’il était peintre, lui aussi, et se nomma. La glace était rompue. On parla de peinture. Maurice de Vlaminck connaissait les œuvres des impressionnistes Manet, Monet, Sisley, Degas, Renoir, Cézanne, que Derain ignorait encore. On parla aussi de Van Gogh et de Gauguin. La nuit arriva, et dans le brouillard qui s’élevait les deux jeunes artistes continuant à deviser ne se séparèrent qu’à minuit.
Cette première entrevue fut le point de départ d’une amicale et sérieuse liaison.
Toujours à l’affût de curiosités esthétiques, de Vlaminck avait acheté chez les brocanteurs, durant ses randonnées à travers les villages des bords de la Seine, des sculptures, des masques, fétiches taillés dans le bois par des artistes nègres de l’Afrique française et rapportés par des marins ou des explorateurs. Sans doute trouvait-il dans ces œuvres grotesques et grossièrement mystiques des analogies avec les peintures, les gravures et les sculptures que Gauguin avait exécutées en s’inspirant soit des calvaires bretons, soit des sculptures sauvages de l’Océanie où il s’était retiré pour fuir la civilisation européenne.
Quoi qu’il en soit, ces singuliers simulacres africains causèrent une profonde impression sur André Derain, qui les considérait non sans complaisance, admirant avec quel art les imagiers de la Guinée ou du Congo arrivaient à reproduire la figure humaine en n’utilisant aucun élément emprunté à la vision directe. Le goût de Maurice de Vlaminck pour les sculptures barbares des nègres et les méditations d’André Derain sur ces objets bizarres, à une époque où les impressionnistes avaient enfin délivré la peinture des chaînes académiques, devaient avoir une grande influence sur les destinées de l’art français.
Vers le même temps vivait à Montmartre un adolescent aux yeux inquiets, dont le visage rappelait à la fois ceux de Raphaël et de Forain. Pablo Picasso qui, dès l’âge de seize ans, avait connu une quasi-célébrité avec des toiles où l’on voyait justement quelque parenté avec les cruelles peintures de Forain avait brusquement renoncé à cette manière pour peindre des œuvres mystérieuses d’un bleu profond. Il habitait cette bizarre maison de bois de la rue Ravignan, où vécurent tant d’artistes aujourd’hui célèbres ou en passe de le devenir. Je l’y connus en 1905. Sa renommée ne dépassait pas encore les limites de la Butte. Sa cotte bleue d’ouvrier électricien, ses mots parfois cruels, l’étrangeté de son art étaient réputés dans tout Montmartre. Son atelier, encombré de toiles représentant des arlequins mystiques, de dessins sur lesquels on marchait et que tout le monde avait le droit d’emporter, était le rendez-vous de tous les jeunes artistes, de tous les jeunes poètes.
Cette année-là, André Derain rencontra Henri Matisse, et de cette rencontre naquit cette fameuse école des fauves à laquelle appartinrent un grand nombre de jeunes artistes destinés à devenir des cubistes.
Je note cette rencontre parce qu’il n’est pas inutile de préciser le rôle qu’André Derain, artiste originaire de Picardie, joua dans l’évolution de l’art français.
L’année suivante, il se lia avec Picasso et cette liaison eut pour effet presque immédiat la naissance du cubisme qui fut l’art de peindre des ensembles nouveaux avec des éléments empruntés, non à la réalité de vision, mais à la réalité de conception. Tout homme a le sentiment de cette réalité intérieure. Il n’est pas besoin en effet d’être un homme cultivé pour concevoir, par exemple, qu’une chaise, de quelque façon qu’on la place, ne cesse point d’avoir quatre pieds, un siège et un dossier.
Les toiles cubistes de Picasso, Braque, Metzinger, Gleizes, Léger, Jean [sic] Gris, etc., provoquèrent la verve d’Henri Matisse qui, vivement frappé de l’aspect géométrique de ces peintures où les artistes avaient voulu rendre avec une grande pureté la réalité essentielle, prononça ce mot burlesque de cubisme qui devait si vite faire son chemin dans le monde. Les jeunes peintres l’adoptèrent aussitôt parce qu’en représentant la réalité conçue l’artiste peut donner l’apparence des trois dimensions. Il ne le pourrait pas en rendant simplement la réalité vue à moins de faire du trompe-l’œil en raccourci ou en perspective, ce qui déformerait la qualité de la forme conçue.
Bientôt de nouvelles tendances se manifestèrent au sein du cubisme. Picabia, rompant avec la formule conceptionniste, s’adonnait, en même temps que Marcel Duchamp, à un art que n’enferme plus aucune règle. Delaunay, de son côté, inventait, dans le silence un art de la couleur pure. On s’achemine ainsi vers un art entièrement nouveau qui sera à la peinture, tel qu’on l’avait envisagé jusqu’ici, ce que la musique est à la poésie. Ce sera de la peinture pure. Quoi qu’on puisse penser d’une tentative aussi harsardeuse, on ne peut nier qu’on ait affaire à des artistes convaincus et dignes de respect.

Guillaume Apollinaire, « Art et curiosité. Les commencements du cubisme », Le Temps, 14 octobre 1912, repris dans Chroniques d’art (1902-1918), édition de L.-C. Breunig, Gallimard, 1961 (« Folio essais », 1993).

Le douanier Rousseau

Tu te souviens, Rousseau, du paysage astèque,
Des forêts où poussaient la mangue et l’ananas,
Des singes répandant tout le sang des pastèques
Et du blond empereur qu’on fusilla là-bas.

Les tableaux que tu peins, tu les vis au Mexique,
Un soleil rouge ornait le front des bananiers,
Et valeureux soldat, tu troquas ta tunique,
Contre le dolman bleu des braves douaniers.

Le malheur s’acharna sur ta progéniture
Tu perdis tes enfants et tes femmes aussi
Et te remarias avecque la peinture
Pour faire tes tableaux, enfants de ton esprit.

Nous sommes réunis pour célébrer ta gloire, 
Ces vins qu’en ton honneur nous verse Picasso, 
Buvons-les donc, puisque c’est l’heure de les boire 
En criant tous en chœur : « Vive ! vive Rousseau ! »

O peintre glorieux de l’alme République 
Ton nom est le drapeau des fiers Indépendants 
Et dans le marbre blanc, issu du Pentélique, 
On sculptera ta face, orgueil de notre temps.

Or sus ! que l’on se lève et qu’on choque les verres 
Et que renaisse ici la française gaîté ; 
Arrière noirs soucis, fuyez ô fronts sévères, 
Je bois à mon Rousseau, je bois à sa santé !

Guillaume Apollinaire, Le Guetteur mélancolique suivi de Poèmes retrouvés, Gallimard, 1970 (« Poésie/Gallimard »).

Ambroise Vollard

Près du boulevard, au 8, rue Laffitte, il y avait avant la guerre une boutique, véritable capharnaüm où s’entassaient les tableaux des peintres contemporains et où la poussière régnait partout.
Depuis la guerre, elle est close. M. Vollard, sans doute, a renoncé à son commerce pour se livrer tout entier à sa fantaisie d’écrivain et à la rédaction de ses souvenirs sur les peintres et les auteurs qu’il a fréquentés. Il n’oubliera pas d’y parler de sa cave qui fut fameuse de 1900 à 1908, époque à laquelle il m’annonça qu’il renonçait à manger dans « sa cave de la rue Laffitte » ; elle était devenue trop humide.
Tout le monde a entendu parler de ce fameux hypogée. Il fut même de bon ton d’y être invité pour y déjeuner ou y dîner. J’ai assisté pour ma part à quelques-uns de ces repas. Carrelée, les murs tout blancs, la cave ressemblait à un petit réfectoire monacal.
La cuisine y était simple, mais savoureuse ; mets préparés suivant les principes de la vieille cuisine française, encore en vigueur dans les colonies, des plats cuits longtemps, à petit feu, et relevés par des assaisonnements exotiques.
On peut citer parmi les convives de ces agapes souterraines, tout d’abord un grand nombre de jolies femmes, puis M. Léon Dierx, prince des poètes, le prince des dessinateurs, M. Forain, Alfred Jarry, Odilon Redon, Maurice Denis, Maurice de Vlaminck, José-Maria Sert, Vuillard, Bonnard, K. X. Roussel, Aristide Maillol, Picasso, Émile Bernard, Derain, Marius-Ary Leblond, Claude Terrasse, etc., etc.
Bonnard a peint un tableau représentant la cave et, autant qu’il m’en souvienne, Odilon Redon y figure.

Guillaume Apollinaire, « La cave de M. Vollard » (extrait), dans Le Flâneur des deux rives, Gallimard, 1928 (« L’Imaginaire », 1994).

 

Témoignages

« Tenez, Apollinaire, il ne connaissait rien à la peinture, pourtant, il aimait la vraie. Les poètes, souvent, ils devinent. » 
Pablo Picasso à André Malraux

Apollinaire par André Breton

[Apollinaire] avait choisi pour devise : « J’émerveille » et j’estime encore aujourd’hui que de sa part ce n’était trop prétendre, muni des connaissances étendues qu’il était presque seul à avoir dans des domaines spéciaux (les mythes, tout ce qui ressortit à la grande curiosité, aussi bien que tout ce qui gît dans l’enfer des bibliothèques) et ne s’en montrant pas moins tout ouvert sur l’avenir. Non content d’appuyer les entreprises artistiques les plus audacieuses de son temps, il avait éprouvé le besoin de s’intégrer à elles, de mettre à leur service tout ce dont il disposait de haut savoir, d’ardeur… et de rayons. De même qu’il a été conquis au moins par le personnage de Jarry, dont il trace un portrait ému dans ses Contemporains pittoresques, qu’il a su reconnaître d’emblée le génie d’Henri Rousseau, il a situé une fois pour toutes la démarche d’un Matisse, d’un Derain, d’un Picasso, d’un Chirico. 
Il l’a située au moyen d’instruments d’arpentage mental comme on n’en avait plus vus depuis Baudelaire. Lui si imbu de multiples traditions, il avait tenu à honneur de rédiger le manifeste de l›« antitradition futuriste ». Alors que Valéry sur ce plan constituait un élément attardé et même rétif (intéressant d’ailleurs en tant que tel), Apollinaire allait de l’avant, quitte à donner parfois dans l’envers du décor. Je l’aimais, je persiste à l’honorer grandement comme tel. Il fut un « voyant » considérable. La plupart de ceux qui continuent à deviser de lui avec sympathie et même enthousiasme restent à sa porte. Ne s’éclairent pas encore beaucoup les lampes qui mènent de L’Enchanteur pourrissant au Poète assassiné, sur une route où les arrière-pensées se croisent avec les prémonitions.

André Breton, Entretiens (1913-1952), Gallimard, 1952 (« Le Point du Jour »).

Apollinaire par Jean Cocteau

Les noms d’Apollinaire et de Picasso ne se peuvent disjoindre. Personne ne dessine mieux que Picasso. Personne n’écrivait mieux qu’Apollinaire. Le crayon et la plume leur obéissent. Forts de cette maîtrise, ils vont pouvoir tordre la syntaxe et la plier à leur usage.
Mais tandis que Picasso découvre le classicisme cubiste succédant au romantisme fauve et passe de ce classicisme à une manière de tornade lyrique transportant les objets, comme la foudre, d’une signification dans une autre, broyant le fer, déchiquetant les formes, insultant magnifiquement la face humaine avec des haltes de tendresse et de furieuses reprises, tandis qu’il pousse dans la rue les objets des musées, tandis qu’il enregistre les moindres détails du quartier qu’il habite et les oblige (affiches, enseignes, marelles ou dessins d’enfants sur les murs) à devenir les signes de son verbe, tandis qu’il tourne le dos à la beauté parce qu’il court plus vite qu’elle et la précède, Apollinaire reste le flâneur des deux rives, rives de la Seine et rives du Rhin. Il assiste en spectateur à cette corrida.
S’il devait, un soir, me confier sa fatigue de ce que le cubisme et ses règles d’Aristote devinssent algèbre, épures d’architecte et Nombre d’Or, il ne se fatigua jamais de Rousseau, de Matisse, des violentes surprises qu’il demandait aux peintres et dans lesquelles il s’engouffrait comme un gros frelon dans les fleurs.
Jusqu’à sa mort, Picasso lui représenta le prince du mouvement qui déplace les lignes, l’assassin de l’ennui, le naufrageur des faibles, le perturbateur superbe du trafic.
Et cependant il le comparait à une perle dans la même préface de catalogue où il compare Matisse à une orange ouverte en deux.
Car, outre que Picasso, en 1916, ravageait moins et ne poussait pas encore son sacerdoce jusqu’au sacrilège, Apollinaire scrutait cette douce lumière profonde qui, présentement, oriente ses poèmes et fascine même ceux qui n’y pénètrent pas.

Jean Cocteau, « Apollinaire » (1954, extrait), dans Poésie critique, I, Gallimard, 1959.

 

Correspondances

Entre Guillaume Apollinaire et Paul Guillaume 

Paul Guillaume fut l’un des marchands d’art les plus influents et les plus éclairés de son époque. Sa collection constitue l’une des pièces maîtresses du musée de l’Orangerie à Paris. La correspondance croisée entre Guillaume Apollinaire et Paul Guillaume qui a paru en avril 2016 dans la collection « Art et Artiste  », en grande partie inédite, raconte les années décisives d’une trajectoire exemplaire, qui sut conjuguer une remarquable intuition artistique à une stratégie commerciale innovante. En voici deux extraits.

Paul Guillaume à Guillaume Apollinaire

8 Janvier 1918

Mon Cher Ami,
Je vais faire une exposition Matisse-Picasso. Vous intéresserait-il d’écrire la préface au catalogue qui sera très beau ? Voudriez-vous aussi m’adresser dès maintenant une vingtaine de lignes pas davantage que j’enverrai en « prière d’insérer » à la presse et peut-être aussi sur un carton avec les invitations,
Je vais avoir une seconde Soirée prochainement.
Bien vôtre
Paul Guillaume

Guillaume Apollinaire à Paul Guillaume

[Paris, 14 janvier 1918]

Cher ami,
Je sors à peine des bras de la mort qui avait pris la forme d’une congestion pulmonaire.
Je suis un peu mieux, mais garde encore le lit.
J’accepte en principe, venez m’en parler à l’hôpital, dans l’après-midi.
Ci-joint les 20 lignes :

M. Paul Guillaume dont le goût n’est plus à vanter, vient d’avoir l’idée la plus rare et la plus imprévue, celle de réunir dans une même exposition les deux maîtres les plus fameux et qui représentent les deux grandes tendances opposées du grand art contemporain. On a deviné qu’il s’agit d› Henri Matisse et de Pablo Picasso. L’œuvre éclatant du premier ouvre de nouvelles voies à l’impressionnisme et l’on sent bien que cette veine de la grande peinture française est loin d’être épuisée.

L’autre au contraire montre que cette riche perspective n’est pas la seule qui s’ouvre à l’artiste et à l’amateur, et que l’art concentré qui a donné le cubisme, cette esthétique éminemment contemporaine se rattache par Degas, par Ingres aux traditions les plus
hautes de l’Art. Ce sera là une exposition sensationnelle et une date dans l’histoire artistique de notre temps.
Elle aura lieu de à rue Saint-Honoré.

Vous ferez copier à la machine. 
Venez me voir bientôt
Vôtre 
Guillaume Apollinaire

mon programme ?
mon album nègre ?
Utrillo ?

Guillaume Apollinaire, Paul Guillaume, Correspondance, édition de Peter Read, introduction de Laurence Campa et Peter Read, Gallimard, 2016 (« Art et Artistes »).

Giorgio De Chirico à Guillaume Apollinaire

[Fin janvier 1914]
Samedi soir

Cher ami,
J’ai commencé aujourd’hui le grand tableau dont vous avez vu hier le dessin ; vu comme cela sur la grande toile l’imagination que j’ai eue me fit un effet encore plus bizarre et imprévu. Je pense faire dans mon atelier une exposition du tableau peint cet hiver, je la ferai du 10 au 16 février.
L’intérêt et la profonde compréhension que vous avez pour ce que je fais m’encouragent sur mille et un chemins et m’ouvrent beaucoup d’horizons.
Je vous apporterai un de ces jours L’Énigme d’une journée ; pour le tableau de Mlle Laurencin j’ai pensé aujourd’hui au titre de Mystère d’un moment parce que les différentes choses qui y sont représentées apparaissent dans tout l’imprévu de certains moments où l’essence intime des objets nous apparaît dans toute sa réalité métaphysique. La ressemblance qu’il y a entre ces imaginations que j’ai et les choses comme elles apparaissent dans la vie peut être comparée à la ressemblance qu’il y a entre la physionomie d’une personne qu’on voit en rêve et la physionomie de la même personne dans sa réalité ; c’est et en même temps ce n’est pas la même personne. – Je suis persuadé ainsi d’avoir montré un nouveau chemin en art. – Depuis que je vous connais je me sens plus confiant et l’espoir de la réussite est plus fort en moi. J’ai le même sentiment qu’avait peuêtre [sic] le jeune légionnaire romain lorsque partant pour une campagne lointaine il rencontrait l’amitié d’un commiliton plus aguerri et plus fort que lui. – 
En échange des tableaux que je vous ai donnés et que je serai très fier de voir chez vous* et je vous demanderai de me dédier une des poésies que, comme vous me dites hier, vous allez publier prochainement en volume.
J’attends avec impatience la venue du marchand** dont vous m’avez parlé. Il me serait très nécessaire en ce moment et donnerait un grand développement à mon travail. – 
Je désire beaucoup faire la connaissance de Mlle Laurencin.
Je viendrai vous voir mercredi.
Je vous serre cordialement la main
Votre
Giorgio De Chirico

* Appolinaire possédait notamment La Grande Tour (1913) et le Portrait « prémonitoire » d’Apollinaire (1914).
** Paul Guillaume.

Guillaume Apollinaire, Correspondance avec les artistes  (1903-1918), édition de Laurence Campa et Peter Read, Gallimard, 2009.

Entre Guillaume Apollinaire et Pablo Picasso

Guillaume Apollinaire à Pablo Picasso

[Été 1912]

Mon cher Pablo,
Tu ne réponds pas – es-tu fâché ou n’as-tu pas cru ce que je disais. Tu sais que pour les photos de toi et Braque c’est très pressé* – très pressé, on attend après – et fais-moi ce plaisir à moi qui ai l’occasion ainsi de dire tout le bien que je pense de toi, je le dirai mal mais le mieux qu’il me sera possible et ce serait ridicule que les seuls artistes dont je dise vraiment du bien sans restriction, que je place en tête n’aient pas de reproductions quand tous les autres en ont –
Bonjour à Braque, je t’embrasse fraternellement.
Guillaume
21 Bd Berthier

* Il s’agit des reproductions de tableaux prévues pour Les Peintres cubistes. Dans ce livre qui sort au printemps 1913, Picasso et Braque figurent en tête des « peintres nouveaux ».

Pablo Picasso à Guillaume Apollinaire

[27 février 1913]

Mon vieux Guillaume
Max qui a ete avec toi l’autre jour au Mercure de France me a dit que il a vu une epreuve de ton portrait pour ton livre des vers* tiré en bleu pense que je veux que il soit tiré en noir et pas autrement et empeche tout tirage dans une autre couleur
Bien à toi mon cher ami
Paris le jour de la micareme 1913

* Il s’agit du portrait cubiste d’Apollinaire par Picasso qui servira de frontispice à Alcools, édité au Mercure de France, dont l’achevé d’imprimer est daté du 20 avril 1913.

Guillaume Apollinaire, Pablo Picasso, Correspondance, édition de Pierre Caizergues et Hélène Seckel, Gallimard, 1992 (« Art et Artistes »).

 

Ils ont illustré, entre autres…

ANDRÉ DERAIN

  • L’Enchanteur pourrissant, Kahnweiler, 1909. Gravures sur bois.

RAOUL DUFY

  • Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée, Deplanche, 1911. Gravures sur bois. Repris dans Alcools suivi du Bestiaire et de Vitam impendere amori, Poésie/Gallimard, 1966.

LOUIS MARCOUSSIS

  • Alcools, exemplaire de l’édition originale de 1913 rehaussé d’aquarelles ; Suite de gravures à l’eau-forte, 1934. Repris en fac similé en 2018 (co-édition Gallimard/BnF)

PABLO PICASSO

  • Alcools, Mercure de France, 1913. Avec un portrait de l’auteur.
  • Calligrammes, Mercure de France, 1918. Avec un portrait de l’auteur.

SERGE FÉRAT

  • Les Mamelles de Tirésias, 1917. Illustrations à l’aquarelle.

GIORGIO DE CHIRICO

  • Calligrammes, Gallimard, 1930. Lithographies.

 

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