Marcel Aymé (1902-1967)
Son ironie, son humour caustique et sa truculence ont fait de Marcel Aymé un écrivain très populaire.Outre les célèbres Contes du chat perché, il est l'auteur d'une vingtaine de romans, de dizaine de nouvelles, d'essais, de scénarios et de nombreuses pièces de théâtre.
Les jours
1902-1922. Premières années
1902 — Naissance de Marcel Aymé à Joigny dans l'Yonne, dernier-né des six enfants de Faustin Aymé, maréchal-ferrant, et Marie-Odile Aymé, née Monamy. La famille est originaire de Villers-Robert (Jura).
1904 — Mort de la mère de Marcel Aymé ; le père met son jeune fils en pension à Villers-Robert, chez ses grands-parents maternels, où son grand-père possède une tuilerie.
1905 — Entrée à l'école du village.
1909 — Baptême à Dole.
1910 — Rejoint comme pensionnaire le collège de Dole, en classe de septième.
1911 — Avant la fin de l'année scolaire, il vient habiter chez sa tante Léa, à Dole, où il poursuit ses études.
1918 — Succès au baccalauréat de mathématiques élémentaires.
1919 — Obtient une bourse d'internat pour entrer en classe de mathématiques spéciales au lycée de Besançon. Marcel Aymé souhaite alors devenir ingénieur. Mais il tombe gravement malade et doit interrompre ses études.
1922 — Service militaire comme deuxième classe aide-conducteur à l'armée du Rhin, dans la partie de l'Allemagne occupée par l'armée française.
1923-1933. Débuts littéraires
1923 — Marcel Aymé arrive à Paris, où il s'inscrit à la faculté de médecine. Il exerce divers métiers : journaliste, employé de banque, chef de rayon...
1925 — Retombe gravement malade et va se reposer à Dole, dans le Jura. Sa sœur Camille le pousse à écrire. Il commence à écrire Brûlebois.
« En 1925, lors de son retour forcé à Dole, Marcel Aymé, pour occuper ses loisirs forcés, s'entendit proposer par sa sœur Camille d'écrire l'histoire de Brûlebois, ce doux ivrogne qui portait les bagages à la gare. À vrai dire, elle y avait pensé pour elle-même, mais elle voulait à tout prix occuper l'esprit de son jeune frère et lui céda volontiers l'idée. » (Michel Lécureur, Album Marcel Aymé)
1926 — Publication de Brûlebois aux Cahiers de France à Poitiers ; commence aussitôt la rédaction d'Aller retour.
1927 — Publication d'Aller retour. S'établit à Paris après avoir cherché une situation à Dole. Il cherche à devenir journaliste.
1928 — Publication des Jumeaux du Diable. Travaille à l'agence Radio puis à la Bourse du commerce.
1929 — Publication de La Table-aux-Crevés. Est employé à cette époque par Paris-Exportation. En décembre, La Table-aux-Crevés reçoit le prix Théophraste-Renaudot. Début de la notoriété.
1930 — Vient habiter au 9, rue du Square-Carpeaux, à Montmartre. Publication en juin de La Rue sans nom.
1931 — Mariage avec Marie-Antoinette Arnaud. Publication du Vaurien.
1932 — Publication du Puits aux images. Commence une collaboration régulière à Gringoire.
1933 — Publication de La Jument verte.
1933-1943. La maturité : romans et nouvelles
1934 — Installation au 9 ter, rue Paul-Féval à Paris ; publication du Nain et d'un premier volume de Contes du chat perché illustré par Nathan Altman ; collabore régulièrement à Marianne et exceptionnellement à Paris-Soir, Paris-Magazine, Franche-comté-Monts-Jura.
1935 — Mort de sa tante Léa Cretin ; publication des deux contes (L'Éléphant et Le Mauvais jars) et de Maison basse ; signature du Manifeste des intellectuels français pour la défense de l'Occident et la paix en Europe.
1936 — Sortie des films Le Domino vert, de H. Selpin et H. Decoin, et Les Mutinés de l'Elseneur de Pierre Chenal, avec des dialogues de Marcel Aymé ; publication du Moulin de la Sourdine ; Marcel Aymé délaisse presque complètement le journalisme.
1956 — Publication des Oiseaux de lune ; sortie de La Traversée de Paris, film de Claude Autant-Lara, avec Bourvil et Jean Gabin.
1957 — Publication de La Mouche bleue.
1959 — Sortie du Chemin des écoliers, film de Michel Boisrond et de La Jument verte, film de Claude Autant-Lara, avec Bourvil, Francis Blanche, Yves Robert et Valérie Lagrange.
1960 — Publication des Tiroirs de l'inconnu.
1961 — Publication de Louisiane ; création des Maxibules au Théâtre des Bouffes-Parisiens.
1963 — Création de la pièce Consommation au Théâtre de l'œuvre.
1966 — Sortie de La Bourse et la Vie, film de Jean-Pierre Mocky, dialogues de Marcel Aymé.
1967 — Décès de Marcel Aymé (14 octobre) ; il est enterré dans le cimetière Saint-Vincent de Montmartre.
L'œuvre
Extraits de l'Album Marcel Aymé par Michel Lécureur, Gallimard, 2001 (« Albums de la Pléiade »).
Marcel Aymé et son « bestiaire »
Les origines enfantines
L'enfance de Marcel et de Suzanne Aymé à la tuilerie de Villers-Robert fut un bonheur pour leur imagination déjà fertile. Tout les portait à croire à l'existence d'un monde merveilleux, peuplé de fées, de bêtes faramines et d'animaux doués de parole... Ne disait-on pas alors que, la nuit de Noël, les bêtes se mettaient à parler. Le bestiaire de Marcel Aymé se constitua peu à peu durant ces années d'enfance. Bœufs, canards, vaches, poules, chiens, chats, firent partie de son univers quotidien. Le loup même était présent car il rôdait non loin de la forêt. On évoquait sa présence le soir venu, devant les grandes flammes du four qui réconfortaient et inquiétaient à la fois.
Le bestiaire des Contes du chat perché
Depuis 1934, [Marcel Aymé] avait en effet publié plusieurs histoires de Delphine et Marinette qui avaient beaucoup plu. Il n'y avait guère eu qu'André Rousseaux, dans Le Figaro, pour faire la fine bouche et oser écrire : "Ce sont moins des contes pour enfants que des fables, sans le génie de La Fontaine, étirées en prose, saupoudrées d'ironie et de gentillesse pseudo-poétiques". C'est pourquoi on lit, dans la prière d'insérer d'un recueil de 1939 : « un critique distingué a déjà fait observer, avec merveilleusement d'esprit, que si les animaux parlaient, ils ne le feraient pas du tout comme ils le font dans Les Contes du chat perché. Il aurait bien raison. Rien n'interdit de croire en effet que si les bêtes parlaient, elles parleraient de politique ou de l'avenir de la science dans les îles Aléouliennes. Peut-être même qu'elles feraient de la critique littéraire avec distinction ».
Marcel Aymé journaliste
On sollicita aussi [Marcel Aymé] pour différents articles. Un mensuel grivois, Paris-Magazine, dont les photos de nus étaient bien connues du public, en fit l'un de ses collaborateurs pendant quelques temps. Mais ses propos restèrent bien anodins et de bon goût... Plus intéressante fut la proposition d'Emmanuel Berl de lui confier un article par semaine dans Marianne. Outre plusieurs nouvelles et romans, il y publia donc les réflexions que certaines information de son choix lui inspiraient. Commencée le 22 mars 1933, cette participation dura cinq ans, mais avec une fréquence variable : vingt-sept articles en 1933, cinquante-et-un en en 1934, vingt-six en 1935, deux en 1936 et un en 1938.
À l'écoute de son époque, Marcel Aymé regarda, enregistra et témoigna. Nullement gêné de passer d'un sujet à l'autre, il aborda les questions les plus diverses et s'intéressa même à l'actualité étrangère. Dans "Sujets réservés", le 17 mai 1933, il ironisa sur la censure qui sévissait dans la presse italienne où il n'était pas question, par exemple, de s'interroger sur les interventions publiques du Duce, puisque le texte de ses discours parvenaient aux journalistes assortis de commentaires à publier... [...]
Mais l'actualité étrangère, aussi importante fût-elle, n'a pas constitué l'essentiel des préoccupations de Marcel Aymé dans ses articles de Marianne. La plupart d'entre eux, au contraire, ont été consacrés aux événements nationaux, qu'ils furent scolaires, judiciaires, sociaux, politiques, culturels ou tout simplement anecdotiques. Le 14 février 1934, il met ainsi en scène un clochard qui mendie avec un képi et un chapeau melon. Étonné, l'auteur lui pose quelques questions et s'entend répondre que, lors des émeutes récentes, les « Cipaux » ont chargé la foule, et que le clochard s'est « senti frôlé par le fer des canassons ». Lorsqu'il a rouvert les yeux, il a vu par terre, « un képi et un chapeau melon tout neuf, que le Bon Dieu avait mis là, à la portée de [sa] main » et qu'il a décidé de s'approprier.
Ses articles fourmillent de récits drôles grâce auxquels il s'est forgé peu à peu une image d'observateur humoriste. Marcel Aymé fut un piéton de Paris en quête de pittoresque et d'inspiration. Mais il sut également être grave et véhément lorsque l'actualité le demandait.
L'écrivain au travail
Quand on compare les textes définitifs à leur première version dans la presse, on s'aperçoit souvent des changements importants qu'il a effectués avant de signer les bons à tirer de ses recueils de nouvelles et de ses romans. D'une manière générale, il a plus retranché qu'ajouté, pour être moins pesant ou accroître l'intérêt dramatique de ses textes. En somme, le promeneur nonchalant de la butte Montmartre, que l'on voyait tous les matins avenue Junot ou rue Lepic, rue Caulaincourt ou rue du Mont-Cenis, était un grand travailleur. Rentré chez lui, il prenait son déjeuner, puis il s'enfermait dans son bureau où il écrivait plusieurs pages chaque après-midi. Même le soir, quand ses obligations mondaines ou familiales ne le retenaient pas, il retournait à sa table de travail et emplissait des pages et des pages d'une petite écriture fine et serrée, en évitant les ratures. Il préférait réfléchir complètement à ses phrases avant d'écrire.
Des tournures populaires et régionales
Il est cependant un domaine dans lequel il a largement puisé : celui des expressions et du vocabulaire franc-comtois. Dans ses romans de la campagne, on trouve quelques termes techniques comme la « seille » ou la « bouille », mais surtout beaucoup de tournures populaires ou régionales. Il a excellé à les imiter, faisant de nombreux passages de son œuvre de véritables morceaux d'anthologie. Il en est ainsi des propos de Gustalin au sujet de sa femme, la Flavie : « Elle a des fois des mots vexants, mais ce ne serait pas une mauvaise femme. Ce qu'il y a, c'est qu'elle est en train de faire sa ménopause, vous comprenez ? Quand les sangs de retour la travaillent, c'est tout de suite les humeurs qui remontent et son caractère qui redomine. Autrement que ça, je vous dis, pas mauvaise femme. »
On parlait français à la tuilerie des Monamy, mais dans beaucoup d'autres familles on ne pratiquait que le patois, et un esprit naturellement observateur comme celui du jeune Marcel a dû en tirer très tôt des remarques amusées, ne serait-ce qu'à l'école où les différences dues à l'intelligence et au langage ne faisaient que s'accentuer.
Marcel Aymé dessinateur
Plutôt silencieux et réfléchi, Marcel Aymé se signalait déjà, à cette époque, par ses talents d'observateur qu'il exprimait déjà par le dessin. Son maître en la matière fut Hansi, célèbre imagier alsacien, qui incarna l'esprit patriotique et revanchard. Marcel Aymé reproduisit beaucoup de ses personnages et en garda un goût pour la caricature. Ses cahiers d'écolier renferment beaucoup de croquis et, tout au long de sa vie, il s'est plu à tracer sur ses manuscrits des silhouettes de personnages typiques : gueux aux vêtements rapiécés, bourgeois aux ventres rebondis, femmes acariâtres ou accueillantes, enfants des rues, etc.
Ainsi se forma peu à peu son art de l'évocation rapide qui est plus une suggestion qu'une réelle description. […] Tout en inventant ses personnages, il complétait sa création romanesque par des croquis qui l'amusaient et aidaient son imagination.
Extraits de l'Album Marcel Aymé par Michel Lécureur, Gallimard, 2001 (« Albums de la Pléiade »).