Jean Grosjean (1912-2006)
Poète, traducteur et exégète, Jean Grosjean participa à l'aventure NRF (éditions et revue) en tant que lecteur et éditeur, aux côtés de Claude Gallimard, Raymond Queneau et J.M.G. Le Clézio notamment.
« Jean Grosjean a laissé une empreinte ineffaçable. Dans la littérature, dans la poésie, et plus encore dans la pensée moderne. » J.M.G. Le Clézio, Le Monde, 28 avril 2006
Jean Grosjean est né à Paris le 21 décembre 1912. Il a déjà lu la Bible et Claudel lorsqu'il entre en 1929 au séminaire de Saint-Sulpice. Ordonné prêtre et mobilisé en 1939, Jean Grosjean se lie à André Malraux lors d’une commune captivité comme prisonnier de guerre auprès de Sens (1940), puis à Claude Gallimard en Poméranie en stalag (1941). Il renoncera à son sacerdoce après la Seconde Guerre mondiale.
Encouragé dans sa vocation littéraire par André Malraux et Claude Gallimard, il publie son premier recueil de poèmes, Terre du temps, en octobre 1946 dans la collection « Métamorphoses ».
Jean Grosjean et Claude Gallimard tisseront des liens privilégiés, puisque le premier, publiant la majeure partie de son œuvre rue Sébastien-Bottin, intègre la maison Gallimard après guerre. Il y assure des fonctions de lecteur, de traducteur et d’encyclopédiste auprès de Raymond Queneau. Il collabore à partir de 1967 avec Dominique Aury et Marcel Arland à La NRF, dont il est l'un des contributeurs réguliers depuis 1955. Il entre également en 1967 au comité de lecture des Éditions.
Dans ses poèmes publiés entre 1946 (Terre du temps) et 1954 (Fils de l'homme), les épisodes bibliques sont le support d'une scénographie du moi, face à Dieu, au monde et aux hommes. Jean Grosjean s'établit en 1956 dans l'Aube : les paysages de la campagne, comme ceux du Proche-Orient, où il a découvert le monde musulman en 1936-1937, marqueront désormais sa poésie.
Dans Apocalypse (1962) et La Gloire (1969) s'approfondit la réflexion sur les rapports du Père et du Fils, l'Incarnation, la Passion, la Parole ; les recueils suivants interrogent la Présence dans ses manifestations les plus humbles, et dans un langage plus simple (La Lueur des jours, 1991 ; Nathanaël, 1996). Remarquable prosateur, Jean Grosjean écrit également des récits mettant en scène des personnages bibliques.
Fin connaisseur des textes sacrés et des langues anciennes, il est enfin l'auteur de nombreuses traductions dont Les Prophètes (1955), les tragédies grecques d'Eschyle et Sophocle (1967), le Nouveau Testament (1971), le Coran (1979), ainsi que la Genèse (1987), préfacée par J.M.G. Le Clézio. Jean Grosjean crée avec ce dernier en 1990 « L'aube des peuples » une collection destinée à rassembler sous une même enseigne les grands textes de l'histoire de l'humanité.
Jean Grosjean s'est éteint le 10 avril 2006, quelques mois après la parution d'un ultime recueil poétique, La Rumeur des cortèges.
D'après la notice de D. Alexandre parue dans l'Anthologie de la poésie française du XVIIIe au XXe siècle en « Pléiade » (2000).
Jean Grosjean par J.M.G. Le Clézio
Il est le passant, le passeur de notre siècle. Il le traverse tranquillement, sans faire de bruit, mais à grandes enjambées, d'une marche ferme et sûre, et non pas à la hâte, comme quelqu'un qui sait où il va, le regard aux aguets, les mains libres de bagages. Depuis le premier jour que j'ai commencé à marcher avec lui, il n'a pas changé sa façon de marcher, il n'a pas ralenti le pas. Alors, je me souviens, nous allions dans les rues voisines de la NRF, rue de Beaune, rue de l'Université, dans les soirées froides d'hiver, nous parlions d'autres temps, d'autres lieux, comme si ces rues et cette foule qui se hâtait n'avaient pas vraiment d'importance. Il a toujours la même veste noire, cet air à la fois emporté et nonchalant, cette étrangeté. Il est le poète de Terre du temps, d'Hypostases, de la Gloire. Aujourd'hui, je lis la Lueur des jours et je suis plongé dans le même temps. Je reprends le même souffle, je suis pris dans la même parole. Alors, il y a vingt ans, je me souviens de conversations où le temps justement n'existait plus, parce que lui et moi avions le même âge, malgré ce qu'il avait vécu, malgré ce qu'il savait, ce qui me dépassait. Et ce qu'il disait était aussi clair et aussi simple que les mots de ses poèmes. Aucun homme ne donne un tel accord entre ce qu'il est et ce qu'il écrit, aucun homme ne sait regarder le monde aujourd'hui avec un tel détachement et pourtant un tel empoignement amoureux. Aucun homme ne sait mieux que lui opposer le rire léger et le haussement d'épaules aux questions et aux jugements rendus sur la place publique.
Il est un solitaire, et c'est la solitude qui lui donne cette assurance. Ce qu'il sait, il le dit, il ne le répète pas. À nous de le comprendre, de le rejoindre, mais pour cela nous devons passer par le creuset de la poésie, et non par la cuve où macère la prétendue culture. La poésie est la source pure, elle est l'eau de la vérité, et c'est cette eau que nous donne Jean Grosjean.
J.M.G. Le Clézio, extrait de l'« Hommage à Jean Grosjean », La NRF, n° 479, décembre 1992.
La collection « L'aube des peuples »