Paysage cruel

Gallimard
Parution
C'est dans Mesures, puis dans les Cahiers du Sud, dans La France libre, dans Saisons et dans L'Arche que nous avons appris à connaître certains des poèmes que l'on trouve ici réunis. Jules Supervielle, Jean Wahl, Marcel Arland, Roger Caillois, furent des premiers à les aimer.
C'est une poésie à contre-jour, que viennent éclairer, d'une lueur moins tendre que farouche, la mort, la cruauté :

Je meurs de me sentir guettée par la terreur.
Ma perte est supputée, gageure sans surprise.
Un mot, un geste et déjà tout est perdu.
Je n'échapperai pas à ce réseau des actes
Que je n'ai pas commis et qu'on m'a reconnus,


ailleurs le remords de vivre, le souci de l'identité. Parfois soumise à l'anxiété métaphysique qui marque la plupart des poètes contemporains, du moins Édith Boissonnas n'est-elle jamais théoricienne ni doctrinale. Mais le lecteur la voit avancer dans un monde, où la poésie sans le moindre effort se lève à chaque pas, si naïve dans sa sauvagerie qu'elle prend ici et là allure de fable :

Les parfums les plus savants.
Sur son épaule une veine.
Sous le tissu transparent
Un sein qu'on devine à peine.
Elle tisse des paroles
Autour du très jeune amant,


et pourtant intense au point de former sous nos yeux d'un personnage qu'elle croise, d'un souvenir, d'un rêve, les mythes et les légendes, dont nous nous souvenons ensuite longuement :

L'automate, un homme, s'habillait lentement.
Il me regada sans me voir un moment.
Mes jambes ne me portaient plus. Presque
Tout à fait un être humain!
Le plus affreux c'est sans doute ses mains.
Obstiné comme un insecte gigantesque
Il était heureusement bien maladroit.
Il sourit laissant retomber ses grands bras.