Maître objet
Collection Éditions originales
Gallimard
Parution
«Tout est permis à l'imaginaire, qui ne s'embarrasse pas de valeurs. J'invente donc une origine du monde, peuplé d'objets ; pour ne point
exclure l'absurde, je m'impose l'idée que si certains sont naturels comme le citron, la cascade, l'oiseau-mouche, d'autres précèdent la nécessité dont ils naîtront. J'accepte le tabouret, la cravache, le téléphone, êtres indépendants, choses très libres : c'est ma façon de me venger, avec délices, de la tyrannie humaine. Que l'homme soit leur rêve, leur nostalgie. Et que le temps – notion vilaine – sache se reconnaître là où il ne devrait pas se situer, avant mais après soi. Dans l'imaginaire – n'est-ce pas un absolu fort modeste? – survient alors l'homme. Il se sait multiple, se dit "je", se dit "tu", se dit "on", se dit sans se dire. Les objets, qui l'attendaient, se le donnent pour maître : ils servent, ils découvrent un ordre. Qui abuse de qui? En tout cas, l'homme dénature les objets, et se dénature à leur attribuer une fonction. Lorsqu'enfin il sera superflu, il n'aura que ce recours : les faire à son image, et mourir comme meurt une chose, cassé, vieux, inutile. La détresse – la merveille! – est que la bottine, la lampe, le téléphone se voudront humanisés, pour le pire et le moins bon. La parole sera... mais le poète ne doit pas savoir que l'objet se sait poète.
Mon voisin le saxophone, mon ami le néant, mon frère le journal, votre fable est mon seul réveil.»
Mon voisin le saxophone, mon ami le néant, mon frère le journal, votre fable est mon seul réveil.»