Les suspects

Collection Blanche
Gallimard
Parution
Voici trois textes que j'avais envie de mettre en exergue :

«On peut tout acquérir dans la solitude, hormis le caractère.» (Stendhal).

« Quelque délicat que l'on soit en amour, on pardonne plus de fautes que dans l'amitié.» (La Bruyère).

«Sachez qu'il n'y a rien de plus noble, de plus fort, de plus sain, et de plus utile dans la vie qu'un bon souvenir, surtout quand il provient du jeune âge. On vous parle beaucoup de votre éducation ; et un souvenir sain conservé depuis l'enfance est peut-être la meilleure des éducations. Si l'on fait provision de tels souvenirs pour la vie, on est sauvé définitivement. Et même si nous ne gardons au cœur qu'un bon souvenir, cela peut servir un jour à nous sauver». (Dostoievski – dit par Aliocha).

Quelques amis ont bien voulu lire mon manuscrit.
L'un d'eux m'a dit : «Les préoccupations de tes personnages ne s'élèvent pas au-dessus de la ceinture». (Alors j'ai renoncé à citer Stendhal, La Bruyère et Dostoïevski).
Un autre (qui est écrivain) : «Tu sembles ignorer absolument les techniques modernes du roman, les techniques américaines, au siècle de l'électricité tu t'éclaires à la bougie».
Un autre (qui est homme de lettres) : «Pourquoi introduisez-vous toutes vos comparaisons par : comme? variez».
Un autre : «Le livre est mal centré. Il se compose de deux histoires artificiellement reliées l'une à l'autre. Publie seulement les deux dernières parties, l'expérience de ménage à trois. C'est le plus amusant».
Un autre : « Bien que l'on n'y sache pas trop où l'on va, je préfère les trois premières parties aux deux dernières».
Un autre : «Personne ne croira jamais que c'est Michel qui a tué Robert – Écoute : Claude a été jadis humilié par Michel. C'est sur Robert qu'il prend sa revanche, et les conséquences en sont fatales pour Robert». J'aurais pu appeler ce roman : Syllogisme, ou bien : L'humilié, ou bien encore : Péché originel. Au reste, ce n'est pas l'auteur qui écrit : «C'est Michel qui l'a tué», mais Claude. L'important est qu'il le pense.
J'avais (et j'ai encore) sur les lèvres d'autres réponses, et des questions, mais quand un ami vous parle d'un texte de vous, à tout instant l'on craint si fort qu'il ne détourne la conversation, ou même, comme un chat se plante devant la porte, les yeux vers le loquet, qu'il se taise brusquement, épiant sur votre visage la permission de passer à autre chose, l'on sait si bien qu'aussi copieuse soit-elle, sa critique ne vous rassasiera pas, que l'on se donne l'élégance de couper court, et de lui demander des nouvelles de sa famille, ou mieux : de son prochain roman.
Jean-François Darbon.
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