Le voyage muet

Collection Blanche
Gallimard
Parution
«S'il fallait, chose déplaisante, donner un sens à ce livre, on pourrait y voir une manière de plaidoyer en faveur d'une certaine virginité de l'esprit, une protestation contre les occasions offertes de s'employer et, partant, de s'avilir dans le monde auquel on appartient. Cette attitude ne doit pas se confondre avec celle du refus que tous adoptent un instant aux environs de la vingtième année. Refus, en ce cas, est un mot élégant pour dissimuler l'hésitation d'un être qui s'ignore encore. Cet être, bientôt, choisit, se trouve ; il est dévoré par la vie. Le véritable refus est plus grave, plus durable et tient à des causes plus profondes. S'abstenir consciemment de choisir et de subir ; refuser de créer, par apports successifs, la mosaïque de reflets, le personnage en lequel on finirait par se reconnaître et dont on serait le prisonnier. Pratiquer le renoncement, et surtout le renoncement à soi-même, pour mieux se pénétrer de l'arbitraire et du factice de toutes choses, et trouver enfin, au terme de cette opération d'exhaustion, l'ossature métaphysique, elle-même combien transparente! à quoi l'on se réduit.
Il ne s'agit point de s'abêtir. L'esprit s'exerce autant dans le refus que dans l'acceptation. Mais, alors que dans l'acceptation il se trouve souillé de ce qu'il reçoit, dans le refus, la discipline qu'il s'impose ne profite qu'à une forme pure. L'intérêt de cette cure d'appauvrissement échappe peut-être aux appréciations ordinaires ; elle seule pourtant procure l'indéfinissable qualité à quoi l'on doit de prendre rang parmi la suite accompagnant ces princes qui, par droit de naissance, passent avec un sourire de grandeur inégalable dans les jardins de l'univers.»
Jacques Spitz.
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