Le Moulin de la Sourdine
Collection Blanche
Gallimard
Parution
«Dans une petite ville, un homme fortuné, affable, intelligent, et dépourvu de toute espèce de satanisme, assassine sa servante pour profiter de l'occasion qui lui est offerte de commettre un crime avec la quasi-certitude de l'impunité. Voilà l'histoire telle qu'elle devrait être, mais j'ai eu la faiblesse de rendre apparentes certaines obsessions assez troubles que cet excellent homme tenait pourtant secrètes. Je m'en repens bien maintenant, car je vois que c'est en même temps une maladresse et une trahison. Après avoir pétri tous ses personnages avec la fange des sept péchés capitaux, le romancier n'a pas le droit d'attirer plus particulièrement l'attention du lecteur sur la nature fangeuse de telle ou telle de ses créatures, quand même elle aurait succombé aux pires tentations. Tant qu'ils vivent comme tout le monde, les tristes sires et les drôles de pistolets sont des êtres normaux. Je prie donc MM. les critiques qui liront ce livre de ne tenir aucun compte des quelques révélations imprudentes que j'ai faites sur l'assassin .
Contrairement à ce que croyait le meurtrier, le crime a eu un témoin. C'est un enfant de douze ans qui va se trouver en proie à la passion de la justice et d'autant plus qu'un innocent est accusé. Son père, qu'il a mis dans la confidence, et quelques autres personnes, montrent peu d'empressement à éclaircir l'affaire et n'ont garde de dénoncer le coupable. C'est qu'ils ont de la justice un sentiment très large et vraiment humain, qui s'accorde avec une saine méfiance des entraînements de la raison. Ils sentent qu'un crime est un événement comme un autre, n'ayant pas en soi une grande importance, et que la véritable injustice commencera quand la qualité du coupable prêtera une signification un peu trop générale à l'aventure. Leur conscience se révolte contre l'abus qui pourrait être fait de ces simples mots : "Un notaire a tué sa servante."
Finalement, grâce à la candeur de trois enfants et d'un brigadier de la police, l'affaire se dénoue sur la Sourdine qui est une petite rivière froide. À ce propos, j'ai encore une confession à faire. Cherchant un titre après avoir écrit mon livre, je me suis laissé tenter par Le Moulin de la Sourdine. Le malheur était qu'il n'y eût point de moulin dans mon roman. Après de longues hésitations, j'ai cru pouvoir passer outre à mes scrupules, mais à l'heure qu'il est, je ne me sens guère tranquille. En tout cas, et la chose va sans dire, il ne faut voir dans ce titre aucune intention symbolique.»
Marcel Aymé.
Contrairement à ce que croyait le meurtrier, le crime a eu un témoin. C'est un enfant de douze ans qui va se trouver en proie à la passion de la justice et d'autant plus qu'un innocent est accusé. Son père, qu'il a mis dans la confidence, et quelques autres personnes, montrent peu d'empressement à éclaircir l'affaire et n'ont garde de dénoncer le coupable. C'est qu'ils ont de la justice un sentiment très large et vraiment humain, qui s'accorde avec une saine méfiance des entraînements de la raison. Ils sentent qu'un crime est un événement comme un autre, n'ayant pas en soi une grande importance, et que la véritable injustice commencera quand la qualité du coupable prêtera une signification un peu trop générale à l'aventure. Leur conscience se révolte contre l'abus qui pourrait être fait de ces simples mots : "Un notaire a tué sa servante."
Finalement, grâce à la candeur de trois enfants et d'un brigadier de la police, l'affaire se dénoue sur la Sourdine qui est une petite rivière froide. À ce propos, j'ai encore une confession à faire. Cherchant un titre après avoir écrit mon livre, je me suis laissé tenter par Le Moulin de la Sourdine. Le malheur était qu'il n'y eût point de moulin dans mon roman. Après de longues hésitations, j'ai cru pouvoir passer outre à mes scrupules, mais à l'heure qu'il est, je ne me sens guère tranquille. En tout cas, et la chose va sans dire, il ne faut voir dans ce titre aucune intention symbolique.»
Marcel Aymé.