La femme de Gilles
Collection Blanche
Gallimard
Parution
N'appartient plus au catalogue de l'éditeur depuis
1984
«Elisa, une femme humble, toute de chair et de cœur. Et cela suffit pour lui donner une richesse infinie, une connaissance intime des choses. Elisa aime l'amour et la vie. Elle est sans révolte et sans vaines attentes – elle aime les instants de peu d'apparence, elle en saisit le secret. Et faite ainsi, pourquoi aboutit-elle à un tragique échec?
Un jour qu'elle pénètre, par hasard, dans l'atelier de menuiserie où son père travaille, elle voit un jeune ouvrier debout dans l'encadrement de la porte. Elle aime Gilles, elle devient la femme de Gilles et – accident redoutable – plus rien d'autre que la femme de Gilles.
Le jour où Gilles ne l'aimera plus, elle luttera courageusement, héroïquement pour recouvrer cet amour perdu. Lutte cependant sans éclat, et presque inexistante si on regarde agir Elisa, si on la regarde de l'extérieur. Et c'est pour cela que tout au long de cette lutte, qui forme à peu près uniquement la simple histoire que je raconte, j'ai voulu suivre Elisa "par l'intérieur". Combien de fois ne l'ai-je pas rencontrée! Chez les femmes que je voyais autour de moi j'apercevais, durant une seconde, un sourire d'Elisa, un geste d'Elisa, un soupir d'Elisa. Et puis tout disparaissait et je n'avais plus devant moi que des femmes d'apparence quelconque – et cependant, cette impression, toujours, que ce regard, ce geste qui n'avaient duré qu'une seconde émanaient de quelque chose qui en elles continuait à vivre, et cette chose seule déterminait ces femmes. Et à l'aide de ces paroles, de ces gestes, de ces regards, j'ai recréé Elisa – ou plutôt le cœur d'Elisa. Et ainsi j'ai pu vivre avec elle, vivre en elle. Dès lors, que m'importait le cadre ou les circonstances dans lesquelles se mouvaient les vraies Elisa – j'en avais une à moi, faite de l'union de toutes les autres, faite comme elles de la même chair amoureuse et je pouvais imaginer à mon aise les circonstances et les décors. Je savais qu'elle y réagirait logiquement, selon ses données premières, selon cette chair et ce cœur que j'avais volés pour elle parmi ses sœurs de la vie.
Elisa, femme de Gilles. Elisa qui ne vit qu'en fonction de son amour. Et autour d'elle la vie continue. Cette vie si belle et si forte qui ne cesse de l'appeler. Mais Elisa couvre son visage de ses mains : en elle-même elle ne voit plus que l'image de Gilles.
C'est que déjà Elisa est morte.
Il n'y a plus que la femme de Gilles.
Et un jour, une heure d'un jour même, presque arrivée à ramener Gilles à elle, mais simplement fatiguée par cette lutte, Elisa sent quelque chose de fané dans son cœur. Cet amour qui n'était qu'en elle – et elle qui n'était que cet amour...
J'aurais voulu la sauver. Mais aucun appel de la vie ne pouvait plus l'atteindre. Le salut ne pouvait venir que d'elle-même. Et elle qui n'est plus rien, elle qui ne veut pas n'être plus rien, c'est passionnément qu'elle en arrivera au dénouement. Dénouement qui au lieu d'être un échec serait plutôt un acte d'héroïsme.
Anéantissement dans l'amour – c'est un peu l'histoire de toutes les femmes. Et quand on y songe on éprouve un étrange sentiment : la vie des femmes est marqué d'une émouvante grandeur, – mais de cette grandeur-là comme on voudrait les délivrer!»
Madeleine Bourdouxhe.
Un jour qu'elle pénètre, par hasard, dans l'atelier de menuiserie où son père travaille, elle voit un jeune ouvrier debout dans l'encadrement de la porte. Elle aime Gilles, elle devient la femme de Gilles et – accident redoutable – plus rien d'autre que la femme de Gilles.
Le jour où Gilles ne l'aimera plus, elle luttera courageusement, héroïquement pour recouvrer cet amour perdu. Lutte cependant sans éclat, et presque inexistante si on regarde agir Elisa, si on la regarde de l'extérieur. Et c'est pour cela que tout au long de cette lutte, qui forme à peu près uniquement la simple histoire que je raconte, j'ai voulu suivre Elisa "par l'intérieur". Combien de fois ne l'ai-je pas rencontrée! Chez les femmes que je voyais autour de moi j'apercevais, durant une seconde, un sourire d'Elisa, un geste d'Elisa, un soupir d'Elisa. Et puis tout disparaissait et je n'avais plus devant moi que des femmes d'apparence quelconque – et cependant, cette impression, toujours, que ce regard, ce geste qui n'avaient duré qu'une seconde émanaient de quelque chose qui en elles continuait à vivre, et cette chose seule déterminait ces femmes. Et à l'aide de ces paroles, de ces gestes, de ces regards, j'ai recréé Elisa – ou plutôt le cœur d'Elisa. Et ainsi j'ai pu vivre avec elle, vivre en elle. Dès lors, que m'importait le cadre ou les circonstances dans lesquelles se mouvaient les vraies Elisa – j'en avais une à moi, faite de l'union de toutes les autres, faite comme elles de la même chair amoureuse et je pouvais imaginer à mon aise les circonstances et les décors. Je savais qu'elle y réagirait logiquement, selon ses données premières, selon cette chair et ce cœur que j'avais volés pour elle parmi ses sœurs de la vie.
Elisa, femme de Gilles. Elisa qui ne vit qu'en fonction de son amour. Et autour d'elle la vie continue. Cette vie si belle et si forte qui ne cesse de l'appeler. Mais Elisa couvre son visage de ses mains : en elle-même elle ne voit plus que l'image de Gilles.
C'est que déjà Elisa est morte.
Il n'y a plus que la femme de Gilles.
Et un jour, une heure d'un jour même, presque arrivée à ramener Gilles à elle, mais simplement fatiguée par cette lutte, Elisa sent quelque chose de fané dans son cœur. Cet amour qui n'était qu'en elle – et elle qui n'était que cet amour...
J'aurais voulu la sauver. Mais aucun appel de la vie ne pouvait plus l'atteindre. Le salut ne pouvait venir que d'elle-même. Et elle qui n'est plus rien, elle qui ne veut pas n'être plus rien, c'est passionnément qu'elle en arrivera au dénouement. Dénouement qui au lieu d'être un échec serait plutôt un acte d'héroïsme.
Anéantissement dans l'amour – c'est un peu l'histoire de toutes les femmes. Et quand on y songe on éprouve un étrange sentiment : la vie des femmes est marqué d'une émouvante grandeur, – mais de cette grandeur-là comme on voudrait les délivrer!»
Madeleine Bourdouxhe.