André Fraigneau

Camp volant

Collection Blanche
Gallimard
Parution
«Camp volant est le titre d'un des premiers tableaux de Watteau. C'est un tableau militaire. Pour nos contemporains, il diffère fort peu des Fêtes galantes qui le suivirent. Je pense qu'aux yeux de M. Sirois qui l'acheta, en 1710 (ce fut aussi la première "commande" du jeune peintre), ces soldats qui fumaient la pipe devant leurs tentes, ce désordre de déjeuner sur l'herbe, ces filles de cuisine et ces filles-mères suivant les manœuvres, ces beaux arbres vrais qui se balancent, devaient, après tant d'allégories solennelles, parler avec un accent neuf, audacieux, un peu vulgaire. Si, par contre, ce que j'ignore, M. Sirois était un collectionneur habituel de magots hollandais, la même scène dut lui paraître d'une "distinction" absurde, séduisante par son absurdité même. En réalité, la peinture de Watteau avait la nouveauté toujours fraîche et peu appréciée du Naturel. Il l'imposa. Ce naturel devint un style. Pour justifier sa présence, son triomphe insolite, on glissa vers d'autres excès. Au XIX&sesup; siècle, on ne craignit pas d'expliquer sa couleur, comme on fait pour l'orient de la perle de l'huître, par une maladie. Enfin, le rose épuisé du ciel de ses parcs devint pour certains quelque chose comme l'aurore annonciatrice du jour sanglant des révolutions.
En choisissant de prendre pour mon livre le nom d'un tableau illustre, je n'ai voulu que souligner, très humblement, entre l'un et l'autre une certaine parenté de malentendus. Camp volant est le roman de la vie militaire. C'est aussi la chronique d'un certain "moment" de l'occupation française en Rhénanie. Toute exactitude biographique en est bannie. (J'ai choisi de situer l'action en un lieu de fantaisie, Kaunitz, ce nom n'étant même pas allemand mais autrichien). Et, bien entendu, bannie aussi toute intention pamphlétaire. Entreprendre sa lecture dans un autre sentiment que celui du lecteur habituel de romans serait une erreur aussi forte que de considérer le Gilles du Louvre comme une "charge" anticléricale du curé de Meudon.
Pour le reste, j'espère que ma peinture, volontairement inexacte, sera cependant ressemblante et que chacun qui fut soldat de caserne retrouvera un peu des images de son "temps", ce temps bleu fût-il de Mayence, de Toulouse ou de Chalons. Je pense aussi que les conscrits d'aujourd'hui doivent rejoindre leur régiment avec des sentiments tout autres que ceux de l'époque dont je voudrais être le premier historien.
Dans L'Irrésistible, j'essayai de reconstituer une certaine après-guerre provinciale avec un recul analogue à celui du metteur en scène du film I900 Mascarade (ce qui me fit prendre par certains, non comme le chroniqueur, mais comme un attardé de cette après- guerre. J'aimerais fixer avec Camp volant les traits et la couleur d'une autre époque très courte – où les jeux de la paix, l'insouciance et les problèmes de l'âme avaient leurs droits – aujourd'hui révolue.»
André Fraigneau.