À peine sont-ils plantés...

Collection Blanche
Gallimard
Parution
La petite fille qui parle ici, la tempêle a soufflé sur elle, à peine sortie de terre, comme le dit le titre, qui est un verset d'Isaïe. Son histoire commence avec l'aveu de la première bêtise. Elle a cru qu'il fallait qu'elle s'ouvre ainsi à une communication quasi-mystique avec sa mère qui, autrement, ne serait pour elle qu'une étrangère. Mais elle n'y arrive pas tout à fait. Elle a tendance à exagérer, elle avoue ensuite à propos de bottes, et personne ne pourrait, à vrai dire, la suivre chaque fois dans son romanesque un peu sombre. Enfin la mort de sa mère la sépare de ce milieu tranquille de sa première enfance qui, du moins, a une âme, où le grand-père est un savant, avec beaucoup de livres dans sa chambre, où le deuxième papa lui enseigne à prier, et elle est transportée dans sa seconde famille, celle de sa grand' mère paternelle. Là, elle se trouve aux prises avec une autre folie, la folie des grandeurs et les vices qui l'accompagnent ordinairement, la bohème, le goût du luxe, l'insécurité matérielle, l'ivrognerie. Surtout l'ivrognerie. La grand' mère est ivre tous les jours ou presque. La petite sera dominée d'abord par les préjugés qu'on cherche à lui inculquer, à cause de leur allure hautaine. Mais elle sentira peu à peu que ce désordre la menace autant qu'il lui sert. Elle perdra progressivement la possibilité même de dormir, de faire ses devoirs pour l'école, de manger à sa faim et à des heures à peu près régulières. Ce sera très vite le drame des familles monstrueuses où les enfants pâtissent et où ils doivent, pour se sauver, opposer violence à violence, qu'ils en soient bien capables ou non.
Celle-ci n'est pas douce, mais pas brutale non plus spontanément. Elle est plutôt la petite garce moyenne ; seulement elle a le sens de la pureté qu'il pourrait y avoir dans les rapports humains. Elle n'accuse plus, elle ne veut que croire, comme n'importe qui, ses personnages ne portent pas de nom qui les voueraient à la colère publique ; ils constituent simplement la société naturelle ; ce sont le premier papa, le deuxième papa, les mères successives, les grands-pères, la grand' mère, etc., avec, derrière eux, le poids des générations mortes et loujours présentes. Tout ce petit monde s'entre-déchire, se décompose, se hait, se pourchasse, comme partout ailleurs ; l'enfant doit croître, bon gré mal gré, au milieu de cette existence, comme c'est la règle parmi nous, et un jour lui vient la force de combattre. Cette lutte sans merci pour l'existence, Anna Lorme la raconte avec une sorte d'humour naïf qui nous épargne l'horreur des faits divers, une sobriété imperturbable et une dureté enfantine qui font croire à sa vérité.
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