Document

Les débuts d'Henri Michaux à la NRF

Portrait d'Henri Michaux, gravé par Georges Aubert, en frontispice de l'édition de «Qui je fus» dans la collection Une œuvre un portrait, Éditions de la NRF, 1927. Archives Éditions Gallimard.

« Premières pages. Franz Hellens puis Paulhan y voient quelque chose, d’autres n’y voient rien », écrit Henri Michaux en 1959 à propos de l’année 1922. C’est dans la revue de son ami belge Franz Hellens, Le Disque vert, que Jean Paulhan, lui-même secrétaire de La NRF, avait repéré en septembre les compositions baroques d’Henri Michaux.

Henri Michaux, Qui je fus, Éditions de la NRF, 1927.
Qui je fus d'Henri Michaux dans la collection  « Une œuvre, un portrait », 1927.

Les deux hommes, qui se rencontrent probablement dès l’arrivée du poète à Paris début 1924, entament une correspondance suivie à partir de 1926. Cette même année, des textes de Michaux sont publiés dans Les Cahiers du Sud grâce à l’intervention de son ami Jules Supervielle et dans Commerce, luxueuse revue saisonnière de littérature soutenue par Jean Paulhan. Devenu entre temps directeur de La NRF, Paulhan l’inscrit au sommaire de la revue à partir de mai 1927 avec « Le Grand Combat », tandis qu’il fait paraître Qui je fus dans la petite collection qu’il dirige chez Gallimard, « Une œuvre, un portrait ».

Selon le principe de cette collection laboratoire réservée aux jeunes auteurs de la revue encore peu connus, le frontispice de l’ouvrage est orné d’un portrait de l’auteur qui aurait préféré y voir un dessin. L’un des exemplaires de l’édition originale porte la dédicace « ex. de Jean Paulhan / à mon ami et à ma bouée ». Devenu peu à peu l’un des écrivains les plus proches de Paulhan, Michaux sera l’un des familiers de la Vigie de Port-Cros, lieu de villégiature où se réunissent régulièrement les fidèles de la NRF.

C’est ainsi que Michaux fut d’abord lié à Gallimard par ses œuvres en prose. Le contrat signé avec Gaston Gallimard pour Qui je fus l’engage envers l’éditeur pour ses huit prochains ouvrages « en prose (romans et nouvelles) », Michaux se réservant la possibilité de donner ses poèmes en édition à tirage limité à d’autres éditeurs.

Gallimard publie Ecuador en 1929, écrit à la suite d’un séjour en Amérique latine puis, en janvier 1933, Un barbare en Asie, donné au retour d’un périple de huit mois principalement en Inde, en Chine et au Japon ; tandis que Mes propriétés paraît chez Fourcade en 1929 et Un certain Plume aux Éditions du Carrefour à l’automne 1930. Ces parutions font l’objet de la première étude d’ensemble sur l’œuvre d’Henri Michaux par Rolland de Renéville dans La NRF de novembre 1932, qui donne également en prépublication quelques pages du Barbare.

Gaston Gallimard ne manque pas de porter attention aux poèmes publiés hors de sa maison. La page d’un exemplaire de Variétés du 15 octobre 1929, sur laquelle est reproduit un poème de Michaux et portant des annotations manuscrites de Gaston et Paulhan, en témoigne : « Avis Paulhan ? G » « Michaux fera / a fait mieux. JP ».

Songeant à créer une nouvelle collection dans le prolongement de la revue de luxe Mesure, dont la première livraison a paru la veille et au comité de rédaction de laquelle entrera Michaux, Paulhan écrit à Gaston Gallimard le 2 janvier 1935 : « Je vois assez bien  une collection de petits livres sobres de 100 à 140 pages, tirés à 800 ou 1000 ex. et qui se vendraient de huit à dix francs. […] Je  donnerais entre autres, la première année, un Théâtre d’Artaud, un recueil de contes de Charles-Albert Cingria, un recueil de poèmes de G.M. Hopkins, le M. Plume de Michaux ». Cette collection, baptisée « Métamorphoses », est destinée à jouer un rôle comparable à celui d’« Une Œuvre un portrait » – alors interrompue –, en éditant à titre d’expérimentation des textes de « littérature pure » d’auteurs confidentiels. Paulhan envisage d’inscrire Michaux à son programme car, malgré des publications déjà nombreuses et d’incontestables succès critiques, le poète reste méconnu du grand public. Il inaugurera bien la nouvelle collection en février 1936 avec Voyage en Grande Garabagne à défaut d’Un certain Plume qui, comme le craignait Gaston Gallimard, avait déjà été publié. Un nouveau Plume, précédé de Lointain intérieur, paraîtra cependant chez Gallimard sous la couverture blanche en 1938.

André Gide, Découvrons Henri Michaux, Gallimard, 1941.
Découvrons Henri Michaux par André Gide, Gallimard, 1941.

La notoriété viendra en 1941, grâce à une conférence d’André Gide programmée à Nice le 21 mai 1940. L’idée lui en est venue après une relecture enthousiaste de La Nuit remue. Gide se disait dès 1933 un « lecteur très attentif et charmé » des œuvres d’Henri Michaux, dont il est au début de la guerre le voisin à Cabris. Aline Mayrisch y avait accueilli Michaux avant que Vichy ne l’assigne en résidence au Lavandou comme citoyen belge. Bien qu’annulée au dernier moment en raison d’une lettre de menace de la Légion des anciens combattants, le texte de la conférence, imprimé en toute hâte dès le mois de juillet suivant par Gallimard sous le titre Découvrons Henri Michaux, consacrera enfin le poète : « Il me déplairait que Michaux demeurât frustré ; d’où cette publication. Elle ne prétend à rien qu’à jeter un peu de lumière sur un poète remarquable, mais discret et, comme il sied, beaucoup plus amoureux de perfection que de gloire. Mon seul but est de le faire connaître à ceux qui seront dignes de l’aimer. »

© Éditions Gallimard
À la une