Fabrice Caro nous parle de Fort Alamo
« Après un temps interminable, la longue file sur le tapis roulant s’est clôturée par une boîte de haricots rouges — Et en plus il aime les haricots rouges, voilà ce qui m’a traversé. Quand il a eu terminé de ranger ses courses dans son sac, alors que je le fixais dans l’espoir d’un signe, sinon d’excuse, au moins d’empathie, il a payé sans même un regard vers moi et s’est éloigné de la caisse en poussant mollement son caddie. Quelques mètres plus loin, il s’est effondré sur le sol. »
Fort Alamo, un clin d’œil aux westerns de l’enfance, ou une allusion à un impitoyable jeu de massacre ?
Les deux. J’adorais regarder les westerns avec mon papé quand j’étais enfant. Il y a beaucoup d’enfance dans ce livre. Fort Alamo représente aussi le lieu que l’on défend coûte que coûte, qu’on refuse de céder à l’ennemi.
Le moins qu’on puisse dire est que le narrateur traverse une période pour le moins compliquée…
J’ai l’impression que mes personnages traversent toujours des périodes compliquées… Mais, comme on dit, les gens heureux n’ont pas d’histoire. En l’occurrence, ici le narrateur ne se résigne pas à devoir vider la maison de son enfance après le décès de sa mère. Et, comme si ça ne suffisait pas, il se sent affublé d’un étrange pouvoir…
Détenir un super-pouvoir, un rêve d’enfant qui pourrait se révéler terrifiant dans la vraie vie…
C’était un fantasme d’enfant quand je lisais des magazines de super-héros et que je me rêvais dans les costumes de Spider-Man ou Wolverine. Adulte, ça peut prendre la forme d’un questionnement existentiel assez vertigineux : si j’avais le pouvoir de faire mourir des gens que je considère comme nuisibles aux autres ou au bon fonctionnement de la société, est-ce que je le ferais ?
Le narrateur semble vivre au jour le jour, et paradoxalement dépenser beaucoup d’énergie pour ne pas agir…
Ça aussi c’est un trait assez caractéristique de mes personnages, je crois : ils subissent énormément, analysent beaucoup, mais n’agissent pas tellement. Ils ont un côté fataliste et spectateur de leur propre condition. Ils fantasment beaucoup leur rapport au monde mais sont assez lâches, au fond. Toute ressemblance avec leur auteur…
On a le sentiment qu’il découvre sur le tard que les autres – son frère, sa belle-sœur… – ont eux aussi leurs fêlures, et même que cela les rend attachants…
Oui, je crois que, dès lors que l’on parvient à discerner chez une personne sa part d’enfance, on porte sur elle un regard différent, plus bienveillant, plus tolérant. Nous sommes encore tous des enfants, tous orphelins de quelque chose, on se débrouille comme on peut avec le temps qui passe. Chez les autres, on s’en tient souvent aux carapaces, mais j’aime l’idée d’aller chercher ce qu’il y a dessous. C’est un peu ce que le narrateur essaie de faire pour n’être pas rattrapé par la colère et éviter les drames, retrouver la part d’enfance des gens qu’il croise et qui ont tendance à l’irriter.
On retrouve dans ces pages votre humour et votre acidité, plus que jamais mêlés de nostalgie et de tendresse…
J’ai coutume de dire que chacun de mes livres est un journal intime déguisé : je mets dans le livre en cours mes préoccupations du moment, que je mêle à de la fiction pour brouiller les pistes. En l’occurrence, j’avais, au moment de l’écriture de Fort Alamo, moi aussi ma maison d’enfance à vider, ça remuait pas mal de choses, c’est peut-être la raison pour laquelle il en ressort une pointe de mélancolie même si, j’espère, ça reste assez drôle.