Repères

Après Sappho, des vies

Sappho


Pour guider les lecteurs dans le sublime labyrinthe qu’est Après Sappho, L’Imaginaire a sollicité Selby Wynn Schwartz et Suzette Robichon pour établir de courtes biographies des femmes qui apparaissent dans le roman, présentées dans l'ordre alphabétique des prénoms.

SAPPHO (Lesbos, vers 610/650 av. J.-C. – ?)

« Qui était Sappho ? Nulle ne le savait, mais elle avait une île... On raconte que lorsqu’elle chantait, c'était comme le soir qui tombe sur le rivage, comme s’enfoncer dans la mousse avec les cieux qui se déversent sur vous. Ses poèmes étaient des hymnes. »

Sappho est l'une des poètes les plus célèbres de la littérature occidentale.  L’œuvre de celle que l’on nommait « la dixième Muse » n'a survécu que sous la forme de fragments mais sa renommée s'est transmise de son époque à la nôtre. Elle enseignait la poésie et la musique à celles qui se regroupaient autour d’elle à Lesbos dans l’île de sa naissance. Là, dans cet espace de création poétique, elles pouvaient, vivre et s’aimer. 

Ici, Hélène Cohen, a repris, entre autres, les traductions de Renée Vivien. Dans le texte original de After Sappho, la traduction utilisée provient de If Not Winter : Fragments of Sappho, d’Anne Carson, poétesse et spécialiste des littératures classiques dont Selby Wynn Schwartz s’inspire profondément. 

 

ADRIENNE MONNIER (Paris, 1892 – 1951)

On l’appelle « la jeune fille aux cheveux courts et aux idées longues ». En 1915, à seulement 23 ans, elle fonde au 7, rue de l’Odéon la Maison des Amis des Livres, grâce à l’indemnité que son père postier a reçu à la suite d’un accident. Quelques années après, Sylvia Beach, sa compagne, ouvre, sur le même modèle, au 12 de la même rue une librairie de langue anglaise, Shakespeare and Company. L’Odéonie est née. Toute l’avant-garde littéraire s’y retrouve. En parallèle de son activité de libraire, Adrienne Monnier crée et dirige la revue Le Navire d’argent, écrit des textes littéraires et des Gazettes. Elle mène à bien en 1929 l’édition française d’Ulysse de Joyce (dont Sylvia Beach a assuré la publication anglaise). Gravement malade, Adrienne Monnier décide de mettre fin à ses jours le 19 juin 1951.

 

ALICE TOKLAS (San Francisco, 1877 – Paris, 1967)

Venue à Paris comme de nombreuses jeunes femmes américaines de sa génération, Alice Toklas rencontre à Paris en 1907 l’écrivaine Gertrude Stein qui devient sa compagne. Leur salon au 27, rue de Fleurus est fréquenté par le Tout-Paris artiste dont Picasso, Matisse, Apollinaire, Sherwood Anderson et Ernest Hemingway. Elle est la première lectrice de Gertrude Stein, sa muse et son éditrice, mais elle reste dans l’ombre et est souvent nommée sa cuisinière-secrétaire. Stein publie en 1933 Autobiographie d’Alice Toklas, ouvrage dans lequel elle la fait parler à la première personne. Durant les années d’Occupation, toutes deux s’exilent dans le Bugey. Après la mort de Gertrude Stein en 1946 la vie d’Alice devient très difficile sur le plan matériel. En 1954 et 1958, Alice publie successivement Le Livre de cuisine d'Alice Toklas et Aromas and Flavors of Past (inédit en français), deux livres de cuisine qui mêlent recettes et souvenirs, suivis de son autobiographie, Ma vie avec Gertrude Stein, en 1963.

 

ANNA KULISCIOFF (Crimée, 1855 – Milan, 1925) 

Docteure de formation et révolutionnaire de profession, née dans le sud de l’Ukraine, elle a étudié aussi bien la philosophie que la médecine. À la fois anarchiste et féministe elle est persécutée par la Russie tsariste, et se réfugie en France, en Italie, et en Suisse, où elle est arrêtée et incarcérée à plusieurs reprises en raison de ses convictions politiques. Surnommée « la dottora dei poveri » [la docteure des pauvres], elle se spécialise en gynécologie et plus particulièrement dans les maladies liées à l'accouchement. Elle cofonde avec son compagnon Filippo Turati le Parti Socialiste italien, dirige des revues révolutionnaires, et présente au Parlement italien un projet de loi pour l’amélioration des conditions de travail pour des femmes et des enfants. Anna Kuliscioff se bat également pour le droit de vote des femmes italiennes, finalement adopté vingt ans après sa mort.

 

ANNA DE NOAILLES (Paris 1876 – 1933)

Fille d'un prince roumain et d’une remarquable pianiste d’origine grecque, Anna de Noailles, poétesse et romancière, adopte la France et sa langue dans sa vie et ses écrits. Très liée à Marcel Proust admirateur de sa poésie, elle reçoit de nombreux écrivains dans son salon littéraire de l’avenue Hoche. Elle est l’autrice de neuf recueils de poésie, de trois romans dont Le Visage émerveillé, recueil de novellas en forme de méditation sur les relations entre les sexes, et d’une autobiographie. En 1904, avec d’autres femmes conscientes que le prix Goncourt ne sera jamais attribué à une femme, elle fonde le prix Vie Heureuse qui deviendra en 1922 le prix Femina

 

AUREL (Cherbourg, 1869 – Paris, 1948)

Aurélie Octavie Gabrielle Antoinette de Faucamberge trouvait certainement trop long son vrai nom et elle choisit de se nommer Aurel. Femme de lettres française, elle est l’autrice de nombreux romans et essais consacrés au couple dont Les Jeux de la flamme, Pour en finir avec l’amant et L’Art d’aimer. De 1915 à sa mort, elle tient un salon au 20, rue du Printemps à Paris, fréquenté entre autres par Jean Cocteau, Max Jacob, Lucie Delarue-Mardrus, Sibilla Aleramo, Anna de Noailles et Guillaume Apollinaire. Elle fait partie de cette Académie des Femmes que Natalie Barney présente dans Aventures de l’Esprit

 

BERTHE CLEYRERGUE (Gueugnon, 1904 – Issy-les-Moulineaux 1998) 

 Berthe est « la Berthe de Natalie » ou plutôt la Berthe de « Miss Barney ».

À Paris, jeune et dynamique elle sympathise avec une cliente de ses patrons, Djuna Barnes, et lui demande si elle ne connaitrait pas une américaine chez laquelle travailler et voyager. C’est ainsi qu’en juin 1927, elle rentre comme employée de maison chez Natalie Barney. À son service jusqu’à la mort de cette dernière, elle devient rapidement un pilier fondamental de la vie de Barney et de son salon. En 1980, l’écrivaine Michèle Causse recueille ses souvenirs, précieux, précis et passionnants : Berthe ou Un demi-siècle auprès de l’Amazone

 

« BRICKTOP » ADA SMITH (USA, West Virginia, 1894 - New York, 1984)

Chanteuse et danseuse afro-américaine, Ada Smith, dite « Bricktop », grandit à l’époque des minstrel shows. Elle se produit sur scène dès ses 16 ans, puis à 20 ans dans les cabarets de Jazz Age d’Harlem. En 1924, Bricktop arrive à Paris, fait ses débuts au Grand Duc et ouvre ensuite son propre cabaret rue Pigalle. Célèbre pour ses talents de danseuse, elle enseigne le charleston à Cole Porter et à différentes personnalités, fume le cigare et attire très vite les expatriés américains. F. Scott Fitzgerald et Hemingway (qu’elle supporte à peine) et d’autres fréquentent le cabaret qui porte son nom : Chez Briktop. Les célèbres musiciens de jazz jouent chez elle quand ils passent par Paris : Sydney Bechet, Duke Ellington, Louis Amstrong, par exemple. Sa porte est ouverte aux artistes afro américains, et quand Joséphine Baker arrive à Paris en 1925, Bricktop la soutient particulièrement, comme en témoignent ses mémoires Bricktop by Bricktop. Rentrée aux USA au moment de la deuxième guerre mondiale, elle revient en Europe en 1949, ouvre un cabaret à Rome, puis repart en 1961. Il est fini le temps des nuits debout jusqu’à l’aube. Sa voix, son esprit hantent encore ces lieux qu’elle a créés et animés avec tant de dynamisme.

 

COLETTE (Saint-Sauveur-en-Puisaye, 1873 – Paris, 1954) 

Colette a de multiples facettes : romancière, mime, comédienne, journaliste. Elle commence à écrire en 1900 la série des Claudine, publiée sous le nom de Willy, son mari, qui s’approprie son œuvre. Il faut attendre 1906, date de leur séparation, pour qu’enfin son nom seul apparaisse sur les couvertures. Elle entame alors une carrière au music-hall, travaille pour la presse et continue à bâtir une œuvre littéraire foisonnante et diverse. En parallèle elle mène une vie sentimentale riche, auprès de Missy (Mathilde de Morny), Natalie Barney, et d’autres, ainsi que de trois maris. Comme une illustration de la place centrale qu’elle occupe dans les lettres françaises d’alors, elle est la deuxième femme élue membre de l’académie Goncourt en 1945, dont elle devient la présidente entre 1949 et 1954. Colette est la première femme à laquelle la République ait accordé des obsèques nationales.

 

DJUNA BARNES (États-Unis, Cornwall, 1892 – New York, 1982) 

Romancière, dramaturge et artiste américaine d’avant-garde, elle traverse l’Atlantique à 30 ans pour s’installer à Paris, attirée par cette capitale culturelle où vivent déjà bien d’autres de ses compatriotes. Elle fréquente notamment les cercles de Natalie Barney, Gertrude Stein, Janet Flanner, Berenice Abbott et Sylvia Beach. Sous le nom de Lady of Fashion elle publie en 1928 Ladies Almanack, écrit « dans un moment d’oisiveté », satire brillante et bienveillante du cercle de femmes entourant Natalie Barney. Connue pour son premier roman, Ryder (1928), son amour et sa vie avec la sculptrice Thelma Wood lui inspirent Nightwood (Le Bois de la nuit) paru en 1936Considéré comme son chef -d’œuvre, il est devenu une œuvre culte, suivie d’une série de nouvelles, et de pièces de théâtre.  À l’approche de la guerre, en 1940, elle regagne les États-Unis.  Vivant recluse à Greenwich Village, elle écrit peu et se consacre alors à la poésie.

 

EILEEN GRAY (Irlande, Enniscorthy, 1878 – Paris, 1976) 

Designer et architecte irlandaise. Après des études d’art à Londres, Eileen Gray s’installe à Paris, où elle fréquente le cercle de Natalie Barney, Romaine Brooks, Loïe Fuller et bien d’autres, dont la chanteuse Damia qui sera son amante. Après la peinture elle s’intéresse à l’art de la laque, puis au tissage et s'impose rapidement comme créatrice majeure de paravents et de panneaux décoratifs laqués de type Art déco. En 1922, elle ouvre sa propre galerie, Jean Désert, afin d'y présenter ses créations. Au cours des années 1920 et 1930, elle devient l'une des principales représentantes des nouvelles théories révolutionnaires en matière de conception et de construction. Elle est notamment célèbre pour avoir créé la Villa E-1027 à Roquebrune-Cap-Martin en 1929, et pour avoir œuvré à une architecture sociale. Se démarquant des codes du design de l’époque elle crée des meubles aux lignes épurées, dont la modernité est saisissante encore aujourd’hui. 

 

ELEONORA DUSE (Italie, Vigevano, 1858 – Pittsburgh, 1924) 

Née dans une famille d'acteurs itinérants, elle débute sur scène dès l'âge de 4 ans. Elle est particulièrement connue pour son interprétation du rôle de Nora dans La Maison de poupée de Henrik Ibsen. Contrairement à sa contemporaine Sarah Bernhardt à laquelle elle a été comparée toute sa vie, on dit qu’elle se glissait dans la peau des personnages qu’elle incarnait. Ses tournées en Europe, Amérique de Sud, et aux États-Unis rencontrent un immense succès. Elle prend sa retraite en 1909, au début de sa relation avec Lina Poletti. En 1914 elle inaugure sa « Bibliothèque des Actrices » à Rome, malheureusement fermée lors de la Première Guerre Mondiale. Elle remonte sur scène en 1921 pour raisons économiques, et décède aux États-Unis lors d’une tournée en 1924.

 

ELISABETH DE GRAMONT [Élisabeth de Clermont-Tonnerre] (Nancy, 1875 – Paris, 1954) 

Femme de lettres française, elle est liée à Robert de Montesquiou, Remy de Gourmont, Marcel Proust. Née dans la plus haute noblesse, celle qu’on appellera « La Duchesse rouge » rompt les ponts avec son milieu en s’engageant pour le socialisme, et en soutenant le Front populaire. Elle rencontre Natalie Barney en 1909 et divorce enfin de son mari violent onze ans plus tard. Natalie et elle concluent un « contrat de mariage » très moderne qui laisse à chacune la totale liberté d’avoir d’autres amours. Elles restent liées toute leur vie.

 

EUGENIA RASPONI [Murat] (Ravenne, 1873-1958) 

Malgré sa naissance dans la plus haute noblesse - sa mère était une princesse, son arrière-grand-mère était la sœur de Napoléon - Eugenia Rasponi se dévoue aux causes sociales, et en particulier au droit de vote des femmes et à la revitalisation d’une industrie artisanale locale. En 1903, elle s'installe dans un château à Santarcangelo di Romagna, reprend une fabrique de meubles, et se consacre au droit de vote des femmes avec sa cousine Gabriella Rasponi Spaletti. En 1918, elle rencontre Lina Poletti - née également à Ravenne - avec laquelle elle passera toute sa vie. Elles vivent ensemble à Rome, organisent des salons sur la théosophie et thèmes similaires, attirant les soupçons des autorités fascistes. Tout au long de leur union de quarante ans, les deux femmes ont beaucoup voyagé en poursuivant leur intérêts philosophiques, spirituelles, et archéologiques. 

 

EVA PALMER [Sikelianos] (New York, 1874 – Delphes, 1952) 

Issue d’une famille d’intellectuels, elle s’initie très tôt à la musique, aux sciences, au théâtre, à la danse et à la littérature. Natalie Barney et Eva se rencontrent lors de leur jeunesse à Bar Harbor, et leur correspondance sur de longues années témoignent d’un amour intense et ouvert à d’autres relations. En France elles habitent toutes deux à Neuilly, Natalie écrit des pièces de théâtre et en organise les représentations dans son grand jardin. Aux côtés de Colette, d’Isadora Duncan et d’autres, Eva joue Timas, amour perdu de Sappho, et se distingue par une magnifique et très longue chevelure. Plus tard Eva part avec les Duncan en Grèce et y rencontre le poète Ángelos Sikelianos.  Au cours de son mariage ils organisent ensemble la renaissance du festival de Delphes. Avec une détermination sans faille, Eva Palmer s’évertue à recréer les formes d'art antiques, mettant en scène la tragédie grecque avec ses propres chorégraphies, ses costumes et même sa musique. Après sa séparation d’avec Angelo, et de retour aux États-Unis en 1933, elle continue à célébrer la culture grecque antique. 

 

FLORENCE NIGHTINGALE (Florence, 1820 – Londres, 1910) 

Infirmière britannique. Pendant sa jeunesse, sa famille aisée finance des soins pour les villageois des alentours. En 1837, une épidémie de grippe survient dans le sud de l’Angleterre, et Florence, qui y a échappé, s’occupe de soigner des malades. C’est une révélation, elle va alors tout faire pour devenir infirmière. Pionnière des soins infirmiers modernes et de l’utilisation des statistiques dans le domaine de la santé, la Journée internationale des infirmières est célébrée chaque année le 12 mai (jour de sa naissance) en son honneur. Figure importante du féminisme anglais, elle écrit Cassandra en 1852, essai en faveur de l’autonomie des femmes.

 

GERTRUDE STEIN (Pittsburgh, 1874 – Neuilly-sur-Seine, 1946) 

« A rose is a rose is a rose is a rose » est sans doute l’une des phrases les plus connues de Gertrude Stein, poétesse, écrivaine, dramaturge américaine dont la plume acérée laissera parfois perplexe Natalie Barney. En 1902, elle s’installe à Paris avec son frère et passera dès lors la majeure partie de sa vie en France. En 1907 elle rencontre Alice Toklas, compagne de toute sa vie. Elle devient collectionneuse et défend l’art moderne, notamment la diffusion du cubisme avec l’œuvre de Picasso, de Matisse, de Braque et de Cézanne. Une théorie qui influence son écriture, faite d’un goût pour le présent, la répétition, la simplification et la fragmentation.  Après Three Lifes (1903), The Making of Americans (1925), et d’autres elle fait apparaitre en 1933 sa compagne, souvent dans l’ombre, dans The Autobiography of Alice B. Toklas. Ensemble, elles tiennent un salon au 27, rue de Fleurus qui rassemble une partie des personnalités artistiques les plus influentes du XXe siècle. 

 

ISADORA DUNCAN (San Francisco, 1878 – Nice, 1927)

Danseuse et chorégraphe, elle est considérée une des créatrices de la danse moderne, tout en puisant d’abord son inspiration dans les postures de l’art classique grec. Avec ce double regard vers le passé ancien et le futur, Isadora Duncan étudie la danse et la musique avant de voyager à Londres pour découvrir les œuvres d'art grec au British Museum. Elle vient aussi à Paris, où Natalie Barney et Renée Vivien découvre son art de la danse. Isadora Duncan reprend ainsi une tradition anglo-américaine qui puise dans l’histoire grecque pour ses propres créations culturelles et artistiques. Avec son frère Raymond, devenu en 1903 le mari de Penelope Sikelianos, elle achète une propriété proche d’Athènes avec le projet d’y reconstruire le palais d’Agamemnon. Sa vie est marquée par des tragédies, dont la mort de ses deux enfants et de leur nourrice en 1913, jusqu’à sa propre mort dans un accident de voiture, son châle s'étant pris dans une des roues.

 

IDA RUBINSTEIN (Kharkov, Ukraine, 1885 – Vence, 1960) 

Danseuse dans les Ballets russes, engagée par Diaghilev, Ida est d’abord connue pour le scandale que cause sa prestation, la Danse des sept voiles, dans Salomé, pièce d’Oscar Wilde. Elle forme plus tard sa propre troupe. Actrice et icône de la Belle époque elle consacre sa fortune à l’art, et ses nombreuses commandes reflètent ses goûts éclectiques. Parmi celles-ci, le Boléro (1911) et La Valse (1920) de Maurice Ravel, la musique de Claude Debussy. Elle s’intéresse également au théâtre, et apparaît dans des rôles-titres. Romaine Brooks, son amante de 1911 à 1914 réalise d’elle plusieurs remarquables portraits. Après la deuxième guerre mondiale elle se retire sur la Côte d'Azur. 

 

LAURA KIELER (Tromsø, Norvège, 1849 – Ålsgårde, Danemark, 1932) 

Romancière norvégienne-danoise. À 19 ans, elle se lie d’amitié avec le dramaturge norvégien Henrik Ibsen après avoir écrit une réponse à sa pièce Brand's Døtre. Plus tard Ibsen utilise l’histoire intime de son mariage pour écrire le personnage de Nora Helmer dans A Doll's House. Trahie et humiliée publiquement, Laura Kieler ne lui pardonnera jamais. Combien d’autres, comme elle, ont été utilisées ?

 

LIANE DE POUGY (La Flèche, 1869 – Lausanne, 1950)

À 19 ans Anne-Marie Chassaigne quitte un mari violent et s’enfuit à Paris. Elle se donne le nom de Liane de Pougy et devient une des courtisanes les plus célèbres de Paris. Danseuse, écrivaine, et reine du demi-monde ses aventures amoureuses défraient la chronique, en particulier celle avec la jeune américaine Natalie Barney, idylle brève mais qui donne lieu à une intense correspondance amoureuse, et dont elle fera un livre Idylle saphique (1901). Elle écrit d’autres œuvres de fiction, tient son journal et se « range » en se mariant en 1908 au prince roumain désargenté Georges Ghika, tout en restant très liée à ses amies, dont Natalie. À la fin de sa vie elle choisit de renouer avec la religion.  

 

LINA [Cordula] POLETTI (Ravenne, 1885 – San Remo, 1971) 

Poétesse, intellectuelle, écrivaine, féministe, et lesbienne dans une époque où tout cela va à l’encontre du destin qu’un père de famille souhaite pour sa fille, Lina Poletti semble appartenir avec audace à un futur non encore advenu. Elle étudie la littérature à l’Université de Bologne et poursuit ses rêves, malgré les médisances. À 23 ans, elle participe au premier Congrès national des femmes italiennes en 1908. Elle y rencontre Sibilla Aleramo, féministe et écrivaine très connue ; leurs lettres d’amour reflètent un rapport intense et compliqué. En 1909, Lina Poletti est attirée par l’actrice Eleonora Duse, pour laquelle elle tente d’écrire une nouvelle pièce de théâtre, Arianna, jamais achevée. Cependant, elle réussit à publier des poèmes et des articles académiques littéraires. À partir de 1918, et jusqu’à la fin de sa vie, elle vit en couple avec Eugenia Rasponi, née comme elle à Ravenne. Ensemble les deux femmes s’engagent dans la politique et la philosophie à Santarcangelo di Romagna et à Rome. Leur salon est un lieu de discussions de thèmes intellectuels et spirituels, qui leur vaut d’être menacées par les autorités fascistes. Lors de leurs voyages, Lina Poletti s’intéresse particulièrement à l’archéologie ancienne.

 

LOUISE ABBEMA (Étampes, 1853 – Paris, 1927) 

À 23 ans Louise Abbema, peintre et sculptrice, acquiert la notoriété par un portrait de Sarah Bernhardt qui deviendra sa compagne et réalisera à son tour un buste en marbre de Louise en 1878. On la connait principalement pour ses scènes de genre, ses portraits de personnalités parisiennes, et sa grande maitrise pour des panneaux décoratifs. De 1883 à 1908, son atelier de la rue Lafitte a été un haut lieu de rencontres, et l’a installée comme une figure de la vie mondaine parisienne de l’époque.

 

NATALIE BARNEY (États-Unis, Dayton, Ohio, 1876 – Paris 1972)

« Je ne me suis pas conformée et pourtant je suis. » On ne sait mieux exprimer la vie et l’œuvre de Natalie Barney que par cet aphorisme de Pensées d’une Amazone écrit en 1920. C’est bien parce qu’elle échappe au destin prévu que Natalie Barney est devenue une figure de légende : richissime Américaine, née en 1876 dans l’Ohio, elle parfait son éducation en Europe et vit à Paris jusqu’à sa mort en 1972. Très jeune elle sait qu’elle a le goût et le désir des femmes et l’amour de la littérature. Elle vit ouvertement ses amours lesbiennes, multiples, et en ce sens-là est une pionnière. Après Eva Palmer et Liane de Pougy, elle se lie avec Renée Vivien et fera avec elle en 1905 le voyage vers Lesbos, l’île de Sappho. Un peu plus tard elle rencontre Elisabeth de Gramont, à laquelle elle se lie par un « contrat de mariage » d’attachement indestructible mais les laissant libres de « fluctuations momentanées ». Plus tard encore Romaine Brooks et d’autres entrent dans sa vie. Nous ne les énumérons pas ici. Passionnée de poésie et de littérature elle tient à partir de 1910, certains vendredis, au 20 rue Jacob, un célèbre salon, lieu de rencontres multiples en différents domaines. Dans Aventures de l’esprit elle en offre quelques portraits et présente aussi sous le titre d’Académie de femmes, certaines écrivaines représentatives de la littérature contemporaine. Sa maîtrise de l’art des aphorismes, concentrés de réflexions, parfois acides, sans aucun sentimentalisme, sa liberté d’être et de parole s’incarne en personnages de romans et inspire encore aujourd’hui.

 

PENELOPE SIKELIANÓS (Grèce, Leucade, vers 1883-1917) 

Musicologue et musicienne, tisserande, chanteuse et actrice. Elle épouse en 1903 Raymond Duncan, frère d’Isadora.  Penelope joue de la harpe et chante lors de la représentation de la pièce Equivoque de Natalie Barney, à Neuilly. Le frère de Penelope, Angelos, a quant à lui épousé Eva Palmer. Les deux couples partagent l'intérêt et la passion de Penelope pour la culture grecque antique. En 1909, ils entament une tournée théâtrale aux États-Unis avec leur version d'Électre. Le couple s’installe à Paris en 1912 pour fonder son Académie de danse classique, d'art et d'artisanat.

 

RADCLYFFE HALL (Grande-Bretagne, Bournemouth, 1880 - Londres, 1943)

Née en 1880, Marguerite Radclyffe Hall est consciente très jeune de son attirance pour les femmes. Disposant d’un héritage lui permettant de vivre à sa guise, elle s’habille de manière masculine et devient romancière. Elle vit d’abord avec Mabel Batten rencontrée en 1907, puis rencontre en 1915 Una Troubridge qui partage sa vie jusqu’à la fin. Son premier roman, The Forge (inédit en français), publié en 1924, est acclamé par la critique. Paraît la même année La Flamme vaincue, en réalité son premier écrit, pour lequel elle choisit d’adopter le nom d’autrice Radclyffe Hall. Ce roman préfigure son œuvre la plus célèbre : Le Puits de solitude (1928). « Je préfèrerais donner à un garçon sain ou à une fille saine une fiole de cyanure plutôt que ce roman » déclare un critique anglais en 1928 à propos de ce livre, interdit et détruit au terme d’un procès malgré le soutien de nombreux écrivains. En France, le livre est publié en 1932 par les Éditions Gallimard et régulièrement réédité. Sous le nom de Valérie Seymour on y retrouve Natalie Barney et son salon, et d’autres figures de la scène lesbienne parisienne. Radclyffe décède d’un cancer en 1943. Autrice controversée, « invertie », comme elle se qualifie avec défi, celle qui se fait appeler John et porte toujours des habits masculins est une pionnière dans la représentation des amours lesbiennes en littérature. 

 

RENATA BORGATTI (Bologne 1894 - Rome 1964)

Après avoir étudié la danse classique, Renata Borgatti se dédie au piano, et en particulier comme concertiste de l'œuvre de Claude Debussy. Elle vit ouvertement sa vie de lesbienne, et trouve à Capri l’espace ouvert et libre lui permettant de vivre ses amours avec des femmes telles la baronne Mimi Franchetti, l'artiste Romaine Brooks, l'autrice Faith Compton Mackenzie. Plus tard elle poursuit une carrière de concertiste et se lie avec Clara Haskill. Romaine Brooks réalise un portrait d’elle, Renata Borgatti au Piano, achevé en 1920. 

 

RENEE VIVIEN [Pauline TARN] (Londres, 1877 – Paris, 1909) 

Poétesse britannique de langue française. Autrice d’une œuvre prolifique, elle publie une quinzaine de recueils de vers et de prose entre 1901 et 1909, auxquels s’ajoutent plusieurs romans et nouvelles. Ouvertement lesbienne, deuxième femme en France à traduire Sappho, elle travaille notamment à resignifier les thèmes clé de la littérature de son temps pour les vider de leur portée misogyne. De son vrai nom Pauline M. Tarn, elle signe d’abord ses œuvres R. Vivien, puis Renée Vivien, et fabrique un temps un second pseudonyme - partagé avec son amante Hélène de Zuylen  -  « Paule Riversdale ». Un temps amante de Natalie Barney, dont la rencontre fut décisive pour sa vie et son œuvre, amie de Colette, de Missy, de Lucie Delarue-Mardrus, elle est malgré son rejet des mondanités une figure majeure du Paris lesbien et l’une des poétesses les plus reconnues de la Belle Époque. 

 

ROMAINE BROOKS (Rome, 1874 – Nice, 1970)

Américaine, peintre et dessinatrice, elle étudie la peinture à Rome et s’installe à Capri en 1902. Après un mariage « blanc » pour pouvoir disposer de sa fortune elle part pour Paris en 1905. Sa peinture s'épanouit, ses noirs et blancs sont très admirés : « Elle réagit la première contre la servitude des styles, l’emphase des formes et des couleurs, préférant les gris, les blancs et les noirs dont elle se sert si magistralement dans ses tableaux. Elle fit aimer une sobriété dont elle était elle-même la parfaite incarnation. » écrit Élisabeth de Gramont. Ses portraits sont ceux de célébrités de l’époque, Cocteau, de Montesquiou, et des aimées ou amies chères, Ida Rubinstein, Renata Borgatti, Elisabeth de Gramont, Radclyffe Hall, Una Troubridge et bien d’autres dont Natalie Barney , sa compagne de presque cinquante ans, sans aucune exclusivité, à qui elle dédie son célèbre portrait « L'Amazone » (1920). Après 1945 elle se retire à Nice. 

 

SARAH BERNHARDT (Paris, 1844 – 1923)

« Quand même » est sa devise et elle l’applique en toutes circonstances. Elle est l'une des comédiennes les plus célèbres de son époque et peut-être la plus mythifiée (on l'appelait de son vivant « la Voix d'or », « la Divine » ou encore « l'Impératrice du théâtre »), la première « étoile » à avoir triomphé sur les cinq continents. Rien ne l’arrête. Après le Conservatoire de Paris, elle débute à la Comédie Française, qu’elle quitte rapidement pour le théâtre de l’Odéon (1966-1972). Son triomphe dans Ruys Blas lui vaut d’être rappelée par la Comédie Française, où elle prospère de 1872 à 1880. Elle la quitte avec fracas et crée sa propre compagnie, qui la porte vers des succès encore plus nombreux. Ayant amants et amantes, dreyfusarde, entourée d’intellectuels et d’artistes, elle sculpte et peint elle-même aux côtés de sa compagne Louise Abbéma, peintre. Dans sa petite ménagerie, parmi caméléons ou crocodiles, se font remarquer le guépard Assuerus et le lion Hernani. Amputée, elle continue à jouer jusqu’à sa mort en 1923. Quand même 

 

SIBILLA ALERAMO [Rina (Marta Felicina) Faccio] (Italie, Alessandria, 1876 – Rome, 1960)

La jeune Rina Faccio, principalement autodidacte, a tiré la leçon du geste de sa mère qui se jeta par la fenêtre après des années d’un mariage oppressif. Encore jeune, Rina commence à travailler dans l’usine gérée par son père. Violée par un des employés, à 15 ans, elle est forcée d’épouser son violeur, elle échappe enfin à ce mariage en 1902. Elle devient écrivaine et traductrice, et prend alors le nom de Sibilla Aleramo. Amie de féministes importantes en 1906, elle publie Une femme, sorte d’« autofiction » souvent considérée comme le premier livre italien ouvertement féministe. En 1908 elle participe au premier Congrès national des femmes italiennes, où elle rencontre la jeune Lina Poletti, et commence alors avec elle une relation qui donne naissance à des dizaines des lettres d’amour et à une partie d’un livre, Il passaggio. Avant 1914, elle est à Paris avec Aurel, Colette, et le cercle autour de Natalie Barney.  Sibilla Aleramo était souvent prise de passions, dont hélas une fascination pour le grandiose et le surhumain, qui l’amène plus tard à être proche d’idées fascistes. Après la deuxième guerre mondiale, elle adhère au Parti communiste italien ; les archives Gramsci conservés à Rome disposent d’une collection de ses archives.

 

SYLVIA BEACH (Baltimore, 1887 – Paris, 1962) 

Fille d'un pasteur américain « fou de la France », Sylvia Beach est féministe et cherche sa voie. La librairie l’attire. Installée à Paris en 1916 elle découvre La Maison des Amis des livres et sa directrice, Adrienne Monnier. Une aventure amoureuse et intellectuelle commence. En 1919, elle ouvre sa librairie de langue anglaise, Shakespeare and Company, qui de la rue Dupuytren migre au 12 rue de l’Odéon, à quelques mètres de celle d’Adrienne. Elle devient rapidement un lieu incontournable de la scène littéraire parisienne américaine. S’y retrouvent notamment Djuna Barnes, Natale Barney, Ezra Pound, Hemingway, Gertrude Stein, Sherwood Anderson, Scott Fitzgerald et bien d’autres écrivains. Quand Joyce se voit refuser l'édition de son livre en Angleterre et aux États-Unis. Sylvia Beach décide de publier Ulysse par souscription. Audacieuse entreprise qui finit par aboutir en 1922, la rendra célèbre mais quasi ruinée. Adrienne Monnier publie la première traduction française du livre en 1929.

 

UNA TROUBRIDGE (Grande Bretagne, 1887 – 1963)

Una étudie au Royal College of Art et ouvre son propre studio de sculpture. Elle épouse l'amiral Ernest Troubridge en 1908, avec qui elle a une fille, Andrea. Son destin bifurque quand en 1915 elle rencontre Radclyffe Hall par l'intermédiaire de Mabel Batten, qui a elle-même une relation avec Hall. À la mort de Mabel en 1916, Una et Radclyffe Hall s'installent à Londres et vivent ensemble (de façon non exclusive), jusqu’à la mort de Hall. Djuna Barnes les célèbre dans L’Almanach des Dames sous le nom de « Lady Hie-et-Dia portant un monocle » et « Tilly-Tweed-dans-le-sang portant chapeau mou ». Outre la sculpture, Una est écrivaine et traductrice, faisant notamment connaître Colette au public anglophone.

 

VIRGINIA WOOLF (Londres, 1882 – Sussex, 1941)

L’éducation de Virginia Woolf est marquée à la fois par les privilèges et les restrictions. Son père, un érudit distingué, lui inculque l'amour de la littérature, mais refuse aussi à ses filles une éducation formelle. Cette expérience précoce de l'inégalité alimente le plaidoyer de Woolf pour les droits des femmes. La vie de famille est complexe et la mort soudaine de sa mère entraine Virginia dans une première dépression. Plus tard, elle et sa sœur Vanessa dont elle est très proche, sont au cœur du groupe de Bloomsbury qui se crée en 1905, cercle d'artistes et d'intellectuels, où s’exprime la créativité en toutes disciplines, y compris dans les manières de vivre amours et amitiés. 

La carrière littéraire de Woolf commence par le journalisme et des articles de critique littéraire. Son premier livre, La Traversée des apparences, est publié en 1915. En 1918 Léonard (son mari et elle, fondent l’importante maison d’édition Hogarth Press. Outre ce travail d’éditrice, tout au long des années 1920 et 1930, elle produit une succession de romans novateurs et acclamés, dont Mrs Dalloway, La promenade au phare, Orlando : une biographie et Les vagues. Ces œuvres, caractérisées par une narration en flux de conscience, explorent les complexités de l'expérience humaine dans un monde ébranlé par la guerre. Sa riche correspondance, dont celle avec Vita Sackville-West, et ses journaux intimes nous permettent d’avoir une approche plus directe et intime. 

A room of one’s own (1929), traduit d’abord avec le titre Une Chambre à soi, est certainement avec Les Trois guinées (1938) le livre d’elle qui circule le plus dans les milieux féministes des années 1970, et encore aujourd’hui. Orlando, est directement inspiré par son amour pour Vita Sackville West, elle lui écrit le 9 octobre 1927 : « j’ai… écrit presque comme une automate, sur une feuille vierge les mots Orlando : une biographie. À peine en avais-je terminé que mon corps a été inondé de ravissement et mon cerveau d’idées. J’ai écrit avec rapidité jusqu’à midi... » Le livre parait en 1928.

En 1941, au milieu des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, Virginia Woolf s'est enfoncée doucement dans l’eau de la rivière Ouse, les poches chargées de cailloux. 

 

VITA SACKVILLE-WEST (Grande Bretagne, Kent, 1892 – Kent, 1962)

Fille unique de parents aristocrates, Vita ne peut hériter du château familial de Knole car elle n’est pas un mâle. Ainsi est la loi anglaise.  En 1913, elle épouse dans un mariage non-conventionnel (« ouvert ») le diplomate Harold Nicolson, bisexuel, avec qui elle a deux fils. Tous deux rénovent le château de Sissinghurst, célèbre aujourd’hui pour ses merveilleux jardins thématiques. Vita porte culottes et guêtres de fermière aussi bien que robe du soir. Ses amours tumultueuses avec Violet Tréfusis, elle aussi fille d’aristocrate font scandale. Leur liaison est connue, et leurs nombreuses et longues escapades amoureuses entachent leur réputation dans la bonne société. Sous contrainte, elles doivent y mettre fin. On en retrouve la narration presqu’à peine déguisée dans Challenge où Vita est Julian, prénom dont elle use lors de sa relation avec Violet. Elle en fait le récit intime dans un texte publié après sa mort dans Portrait d’un mariage. Plus tard c’est avec Virginia Woolf qu’elle se lie étroitement, et leur abondante correspondance témoigne de la profondeur de leur lien. Virginia lui offre Orlando, traversée des siècles et des sexes, sublime lettre d’amour. Vita continue sa vie faite d’écriture, de voyages et d’amours. 

 

Après Sappho - Selby Wynn Schwartz

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