La vie des forçats

Préface d'Albert Londres
Série Notre Temps
Gallimard
Parution
«La vie des forçats? Un document vécu pendant quinze ans.
Une relation claire, nette, objective : tel est mon but... et mon souci.
Aucun parti-pris envers personne. À quoi bon!...
La vie d'un forçat commence au verdict des Assises, moment précis de sa condamnation. Pour le condamné à mort, la vision de la guillotine... Le cauchemar cesse, ou reprend, tout dépend du prix que l'on donne à la vie. Quand il est véhiculé vers Saint-Martin-de-Ré dans les wagons cellulaires.
Dur séjour à l'île de Ré. Les forçats aspirent au départ, comme à une délivrance. Ils embarquent sur le bagne flottant. Et vogue la galère... J'ai encore dans les os l'horreur de ce voyage de vingt-deux jours.
Voici La Guyane. Le Maroni. Les îles du Salut, pleines encore du souvenir de Dreyfus. Cayenne la sacrifiée, dont le nom est synonyme de bagne dans le monde entier. La route n° 0 – vingt-quatre kilomètres construits en soixante ans – route pavée de cadavres de forçats. Les chantiers forestiers. Charvein, de fatidique mémoire. Le soleil des tropiques, 4° latittude nord. Les pluies diluviennes. Les moustiques infernaux, les chiques, les mouches à dagues, les vers macaques, toute la vermine de là-bas.
Et les requins, - requiem.
Sur tout cela, la faim boulimique, les fièvres, les dysenteries, la lymphangite, l'enkylostomia, le paludisme, la cachexie, parfois la folie, plus souvent la mort.
Et les cases des forçats, ignobles bouges, où ils sont parqués pêle-mêle, livrés à eux-mêmes, sans femmes, jamais de femmes, en proie à tous les désirs accumulés au paroxysme, torturés par la désespérance d'être là pour toujours.
Pour toujours... Cette idée torturante enfante une sorte de mysticisme, un culte, le culte de la liberté, de la "Belle des Belles". Cette hantise aboutit à de surhumains efforts, à d'hallucinantes évasions.
Quelques-uns réussissent.
Quelques autres rentrent en France.
C'est tout.
L'homme, moi-même ayant passé par là, peut en parler. Il doit éclairer ses contemporains. Et, qui sait, peut-être empêchera-t-il quelques jeunes têtes folles d'aller jusqu'au bout de leurs passions, jusqu'au bout de l'acte qui, fatalement, les conduira au bagne... ou à la guillotine.»
Eugène Dieudonné.
Lire un extrait