Entretien

Marie Nimier nous parle de Confidences tunisiennes

Marie Nimier

« Il y a quelques années, dans une pièce blanche simplement meublée d’une table, de deux chaises et d’un immense philodendron, j’ai recueilli les paroles de confidents anonymes. Une phrase entendue dans l’enfance, une peur qui prend votre esprit en otage, un secret bien gardé… Il s’agissait au départ d’une expérience littéraire qui s’est transformée au fil du temps en aventure humaine. Puis en addiction. »

Qu’est-ce qui vous a donné envie de réitérer l’expérience des Confidences ?

Cette relation avec les confidents me manquait. Ces moments essentiels partagés avec des inconnus. C’est un peu comme une drogue, d’écouter des gens qui viennent te livrer des souvenirs, des rêves… Tu ne les reverras sans doute jamais… Tu te retrouves avec leurs mots… Après le confinement et l’écriture de deux romans, j’avais besoin de quitter ma table, de voyager et de me frotter une nouvelle fois à cette forme d’écriture, entre la nouvelle et le récit, la fiction et le document.

Plus précisément, pourquoi avoir choisi la Tunisie ?

Je devais aller en Chine, la pandémie en a décidé autrement… Il y a près de Tunis une résidence accueillant des artistes, la Villa Salammbô. J’y ai séjourné plus de deux mois en hiver, seule dans cette grande maison. J’ai fait passer des annonces sur le Net, des appels à confidences. Je me suis assise dans un café, toujours à la même table, à la même heure. On m’a écrit, on m’a téléphoné. Le plus souvent je rencontrais les gens qui me présentaient à des amis, et des amis d’amis. Parfois, j’ai moi-même sollicité des confidences auprès de commerçants, de gens rencontrés au marché ou dans la rue, d’artisans, de chauffeurs de taxi. Tout m’intéressait. Tout m’intéresse. Il n’y a pas de petit sujet.

Pour en revenir au choix de la Tunisie, ce n’est pas seulement un concours de circonstances. Il y a une autre raison, plus intime, que l’on découvrira au début du
livre. L’expérience se révèle très riche, surprenante, dévoilant des aspects secrets de la société tunisienne.

Qu’est-ce qui vous a le plus étonnée ?

Une amie tunisienne m’avait dit : chez nous, parler est un sport national. Je croyais que c’était une boutade… mais non ! J’ai rencontré des gens passionnants, avides de partager leurs préoccupations, leurs aspirations, leurs combats. Ils m’ont accueillie, m’ont fait confiance et ont compris mon projet au-delà de ce que je pouvais espérer. Pour eux, il était clair que j’étais romancière, et non journaliste ou sociologue. Ce qui m’a le plus étonnée, sans doute, c’est le nombre important d’hommes qui sont venus se confier, alors qu’en France la majorité des confidents étaient des femmes.

Bien des confidences témoignent d’une sensibilité rare. S’agit-il d’un trait culturel ?

Il s’agit avant tout d’aventures humaines, au plus proche des émotions qui nous habitent, d’expériences qui nous ont constitués, au plus près de ce qui nous fait nous lever le matin, ou de ce qui nous empêche de le faire. Il y a beaucoup de tendresse et d’humour aussi dans la façon de raconter des Tunisiens, on sent que leurs parents et leurs grands-parents leur ont raconté des histoires. Et puis il y a ce « dispositif », qui permet en effet de créer un état d’émotion particulier grâce à l’anonymat. Les histoires se croisent, se révèlent. Les gens ont un grand besoin non seulement d’être entendus, mais d’être racontés.

L’une des confidences reçues, « En famille, chacun est le souteneur de l’autre, c’est grâce à ça que le pays tient debout », n’est-elle pas la clé de la société tunisienne ?

Les analyses, les bilans, ce n’est pas mon rayon. Au lecteur de faire son chemin, un texte éclairant l’autre, le confirmant ou venant le contredire — il y en a plus de cinquante, racontés à la première et à la troisième personne. Confidences tunisiennes est avant tout un ensemble de récits. Aucune certitude, aucun surplomb, aucune conclusion définitive, mais, je l’espère, une invitation à partager des paroles sensibles et souvent bouleversantes.

 

Marie Nimier est l’auteur d’une quinzaine de romans, dont La reine du silence, prix Médicis. Elle a écrit également des textes pour le théâtre, des nouvelles, des livres pour enfants, des chansons pour Jean Guidoni, Juliette Greco, Eddy Mitchell…

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