Entretien

Laure Adler nous parle d'Agnès Varda

Laure Adler

« De Los Angeles à la Chine en passant par Berlin, Varda vit et revient sur trois fronts : cinéaste, photographe, artiste. La polyphonie de son œuvre surgit à présent sous un jour éclatant et moderniste. Lors des dernières décennies, c’était surtout Varda la cinéaste qui tenait le haut de l’affiche. À juste titre, mais il ne faut pas oublier les autres disciplines où elle a créé, inventé des formes et des modes de narration. Car Varda, qu’on a longtemps prise pour la grand-mère sympa et rondouillarde de la nouvelle vague, est, en fait, une devancière, une théoricienne, une radicale. » 

Si Agnès Varda cinéaste est bien connue, Varda photographe et plasticienne sera peut-être une découverte pour nombre de lecteurs…

Le cinéma de Varda s’inscrit dans le droit-fil de sa photographie et son œuvre de plasticienne, qui correspond au dernier cycle de sa vie, est issue de son cinéma. L’ensemble procède du même imaginaire, les trois parties sont indissociables.

Comment avez-vous relevé le défi de l’écriture d’un texte biographique sur Varda, alors qu’elle a travaillé toute sa vie à son autobiographie ?

Il est impossible de faire la biographie de Varda, puisque elle-même y a veillé de son vivant, et qu’elle ne souhaitait pas que quelqu’un d’autre le fasse. Alors, plutôt qu’une biographie, j’ai voulu faire un portrait de Varda en adoptant un point de vue chronologique sur sa naissance à l’Art, avec un grand A, et ses stades successifs. Tout cela n’a été possible qu’en m’appuyant sur des archives inédites, dont la propre fille d’Agnès Varda, Rosalie, ignorait parfois le contenu. Ensemble, nous avons découvert des aspects de la vie de Varda que je ne soupçonnais même pas malgré notre longue amitié, comme son histoire d’amour avec Alain Resnais.

C’est donc une Agnès Varda différente qui est sortie des archives ?

Oui, elle a tellement construit son personnage que la vraie personne nous avait finalement échappé. Je pourrais dire que la personne s’était absorbée dans le personnage, elle paraissait assez provocatrice, sûre d’elle-même, jouissant de la vie plus qu’elle ne travaillait. En réalité, elle avait un rapport compulsif au travail, c’était une angoissée, une perfectionniste qui se remettait en cause en permanence. Tout le contraire de ce personnage de femme tranquille, drôle, épicurienne, très « farniente »…

Peut-on la qualifier de cinéaste féministe ?

Son féminisme a été questionné tout au long de sa vie, notamment à propos de certains de ses films comme Le bonheur, un très beau film, mais aussi un drôle de film par rapport à la question de l’indépendance et du féminisme. Au point que certaines féministes se sont interrogées sur la réalité de l’appartenance de Varda au mouvement d’émancipation des femmes. En fait, elle s’intéresse au MLF dès le début, elle en fait partie, elle enquête, elle organise des voyages en Belgique et en Suisse pour aider les filles à avorter, elle réalise cette chronique du féminisme qu’est le film L’une chante, l’autre pas… Son féminisme, parfois latent mais toujours présent, se renforce au fil des années.

Une femme libre, avant tout…

En effet, elle se montre extrêmement libre, d’une intransigeante liberté. C’est quelqu’un qui sait tout faire, y compris de ses mains, qui n’a compté que sur elle-même depuis son adolescence et jusqu’à la fin de sa vie. Elle a toujours décidé de ce qu’elle voulait faire, ce qu’elle voulait être, ce qu’elle voulait épouser comme causes et comme combats, ce qu’elle voulait utiliser comme énergie pour sa propre créativité. Elle n’a jamais dépendu de personne, ni de qui que ce soit, ni de quoi que ce soit. Elle a toujours été libre, y compris au sein de la gauche, y compris au sein du féminisme, y compris au sein des mouvements artistiques. Elle a toujours été une sorte d’étoile lumineuse qui n’a jamais, finalement, rejoint un mouvement. Elle appartenait à beaucoup de mouvements, c’est une combattante de la liberté, mais elle est un mouvement à elle toute seule.

 

Journaliste, historienne, écrivaine et productrice à Radio France, Laure Adler est l’auteur de nombreux essais et récits, notamment consacrés à l’histoire des femmes et du féminisme.

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