Entretien

Jo Nesbø nous parle de son livre Les maîtres du domaine

Miniature entretien Jo Nesbø

« – Tous les meurtres datant de moins de vingt-cinq ans peuvent désormais faire éternellement l’objet de poursuites.

– Vraiment ?

– Oui. Olsen dit que ça fait moins de vingt-cinq ans que la première voiture est tombée dans ce précipice. C’est bien le cas ?

[…] Si la modification de la loi était intervenue quelques années plus tard, nous aurions eu à nous inquiéter de trois meurtres de moins. »

Dès les premières lignes, Roy, le narrateur, se présente comme un serial killer, mais il tue pour la bonne cause… À partir de quels matériaux psychologiques avez-vous imaginé ce « tueur avec scrupules » presque sympathique ?

Je crois que chacun de nous, à un moment ou un autre, peut se poser la question : Serais-je capable de tuer ? Et pas seulement en situation d’autodéfense. Roy est une manière de réponse à cette question. L’idée a dû me venir un jour où je me demandais si, et comment, cela pourrait m’arriver, de me retrouver face à un miroir et de me dire comment ai-je pu tuer, non seulement une mais plusieurs fois, prenant conscience d’avoir devant moi le visage d’un meurtrier.

 

Vous décrivez les habitants d’Os comme se tenant par le soupçon, le secret, les commérages, le sexe, l’argent, le pouvoir… Est-ce un hommage aux grands romans noirs américains comme 1275 âmes de Jim Thompson ?

Jim Thompson a toujours été une source d’inspiration pour moi. Il est sans doute présent ici, quelque part à l’arrière-plan. J’adore son humour sombre et sa prose, si belle tout en étant si pragmatique. Toutefois, je pense que Les maîtres du domaine s’inspire davantage d’histoires de frères comme celle d’Abel et Cain, ou de À l’est d’Eden

 

Peut-on voir la route qui traverse la petite ville d’Os comme une « colonne vertébrale » de l’action, ou comme une métaphore du Destin ?

Dans ce roman où le lieu joue un rôle si important, on ressent fortement que ce qui est crucial dans et pour l’histoire, se passe à Os. C’est comme dans un film : lorsqu’une voix off récite un commentaire, elle livre une information. Il ne s’agit pas d’un moment crucial du récit, d’un tournant émotionnel. Pour rester dans le registre de la métaphore, disons que Os est dans le champ de la caméra, par opposition aux autres lieux, qui seraient la voix off. 

 

Au-delà de l’intrigue, peut-on lire Les maîtres du domaine comme une réflexion sur les liens fraternels et amoureux, y compris l’amour inconditionnel de Roy pour ce « petit royaume » que représente pour lui son village natal ?

Il s’agit de savoir où se situe notre loyauté. Dans la famille, la personne que nous aimons, nos amis ? Le lieu où nous vivons, la société, le genre humain ou la religion ? Quant à Roy, il est à mon sens évident que, même dans une société où la social-démocratie a récupéré une grande partie de la responsabilité qui incombait jadis à la famille, sa loyauté – bien qu’il lutte pour ne pas être pas être prisonnier de cette émotion – va à sa famille dysfonctionnelle. La question se pose alors : y a-t-il une façon de s’en dégager ?

 

Mai 25 • Roman • 0000000000000

Dernière parution : Le téléphone carnivore • Série Noire

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