Entretien

Jean-Marie Rouart nous parle de La maîtresse italienne

Jean-Marie Rouart

« Belle, jeune, légère, la comtesse Miniaci est au cœur d’une énigme historique de première grandeur. Quel fut son rôle dans l’évasion épique de Napoléon de l’île d’Elbe ? Seule certitude, sans la comtesse Miniaci, la formidable épopée des Cent Jours, l’invasion d’un pays par un seul homme, n’eût pas été possible. » 

Quel regard portez-vous sur le séjour de Napoléon à l’île d’Elbe ?

Dans la vie de Napoléon, il y a beaucoup de miracles et beaucoup de mystères. Un des plus étonnants miracles, ce sont les Cent Jours, c’est-à-dire le débarquement de Napoléon à Golfe-Juan et l’épopée qui s’est ensuivie. Mais ce qu’on ignore, c’est qu’il y a un autre miracle tout aussi étonnant : son départ de l’île d’Elbe. Comment a-t-il fait pour échapper à tous ceux qui le surveillaient ? Le gouverneur de la Corse, le chevalier de Bruslart, un ancien chouan, voulait le faire assassiner, quatre vaisseaux de guerre croisaient dans les parages de l’île, les sbires du Congrès de Vienne rôdaient… Enfin, le colonel Campbell, l’envoyé spécial de l’Angleterre, était chargé de surveiller les moindres faits et gestes de l’Empereur. Dans ces conditions, comment s’est-il échappé ? C’est ça, le grand mystère. Sur lequel j’apporte un élément bizarrement passé sous silence par les historiens : le colonel Campbell éprouvait une passion brûlante pour sa maîtresse, la comtesse Miniaci, qui résidait à Florence. Comme Campbell négligeait sa mission pour multiplier les séjours florentins, Napoléon, qui ne l’ignorait pas, en a profité.

Tous les personnages du roman ont-ils existé, ou quelques personnages de fiction se sont-ils glissés parmi eux ?

Tous ont réellement existé, mais j’ai pris quelques libertés, notamment dans le domaine sentimental. Là, même si le romancier a beaucoup d’imagination, il ne tient pas la chandelle ! Et c’est d’autant plus vrai pour la comtesse Miniaci : je n’ai trouvé que très peu d’éléments sur elle, malgré mes recherches à Florence. Pourtant, cette femme a joué un rôle essentiel, même si on ne sait pas si elle était une courtisane, ou une espionne, et dans ce cas pour qui travaillait-elle ? Pour Murat ? Pour les agents du Congrès de Vienne ? Pour elle-même ? Ou était-elle tout simplement une amoureuse ? J’ai avancé toutes ces hypothèses, mais toujours sous une forme romanesque.

Cette évasion va faire vaciller la Restauration, ce qui aura des retentissements tout au long du XIXe siècle…

Bien sûr. Sans l’évasion de l’île d’Elbe, il n’y aurait pas eu les Cent Jours, qui ont eu d’énormes conséquences sur l’évolution répressive de la monarchie. Mais ce qui m’a le plus intéressé, c’était de voir autant d’hommes politiques, de chefs d’État, réunis lors du Congrès de Vienne, partager une même obsession de Napoléon. Je suis frappé par cette extraordinaire présence de l’absent, pourtant vaincu et exilé.

Comment expliquez-vous la fascination persistante pour Napoléon Ier ?

Selon moi, la clé de la légende napoléonienne, c’est la possibilité d’identification. Il est très rare qu’on puisse s’identifier à un grand homme, parce qu’on le voit comme une statue. Ce qu’il y a d’extraordinaire chez Napoléon, c’est ce mélange de faiblesse sentimentale et de génie politique. Comme je l’ai déjà écrit, Napoléon m’avait sauvé la vie à dix-huit ans, quand j’ai traversé une période difficile, entre tentation du suicide et poids des échecs scolaires et sentimentaux. En lisant le Mémorial de Sainte-Hélène, j’ai réalisé que ce génie avait connu les mêmes malheurs que les miens, et il m’a soudain paru très présent. Plus tard, j’ai découvert que nombre d’écrivains, tels Dostoïevski ou Stendhal, ont vécu en regardant Napoléon certes comme un grand homme, mais plus encore comme un professeur de vie.

 

Romancier et biographe, Jean-Marie Rouart a été distingué par de nombreux grands prix littéraires comme l’Interallié pour Les feux du pouvoir, le Renaudot pour Avant-guerre et le prix Prince Pierre de Monaco pour l’ensemble de son œuvre. Il a été élu à l’Académie française en 1997. Il a notamment publié récemment aux Éditions Gallimard Une jeunesse perdue, La vérité sur la comtesse Berdaiev, Mes révoltes et Augustin Rouart. Entre père et fils.

Auteurs associés