Entretien

Jean-Baptiste del Amo nous parle de La nuit ravagée

« Au fond de l’impasse, plongée dans son repli sombre, la maison abandonnée était à peine visible, sépulcrale, et Alex eut le sentiment qu’une tristesse infinie s’en dégageait […] Dans le même temps, il fut traversé par l’idée – la conviction – improbable qu’il pourrait trouver ici un soulagement à sa souffrance, que cet endroit pourrait en être le réceptacle, et qu’il lui suffirait pour cela d’en franchir la porte. »

Un lotissement ordinaire, des habitants ordinaires, des adolescents ordinaires qui se désennuient par une petite délinquance ordinaire, parce qu’ils n’ont « rien de mieux à faire »… Pourquoi le choix d’un cadre aussi banal ?

Le lotissement est un territoire dans lequel j'ai grandi et vécu toute mon adolescence, et qui a en partie façonné mon imaginaire. De nombreuses vies, des individus et des familles s'y côtoient, des drames ordinaires s'y jouent, c'est un théâtre parfait pour un écrivain, pourtant encore relativement peu exploré dans notre littérature. Le cinéma américain, en revanche, a compris dès la fin des années 1970 que la banlieue, les suburbs, était l’une des architectures les plus passionnantes de notre époque, et de quelle façon nos espérances comme nos peurs collectives pouvaient s’y manifester. Sous les apparences de la normalité, souvent le danger rôde.

 

Le danger, et même la mort : accident de voiture, suicides, cancer… Elle semble être le seul événement marquant qui puisse survenir dans l’existence de personnages dont l’avenir semble désespérément bouché…

La mort est toujours extraordinaire quand elle surgit dans l’enfance. Elle est vertigineuse car elle donne à penser l’impossible, que l’enfance et la vie puissent justement finir. Cela étant, je crois que ces personnages vivent, dans le même temps, des événements qui sont pour eux d’une grande importance : l'amitié, avec ses joies et ses déceptions, les premières amours, la découverte du désir, la complexité des relations familiales. Et ils vivent tout cela d'une façon à la fois universelle mais aussi singulière, définie par le contexte social et politique de ces années-là. 

 

La maison abandonnée au fond de l’impasse des Ormes, qui fascine le groupe d’adolescents du quartier, va se révéler le lieu de tous les dangers. Mais le pire n’est-il pas de se retrouver soudain confronté à soi-même, tel qu’on ne voulait peut-être pas se voir ? 

Ces adolescents ont toujours été fascinés par cette maison et, lorsqu’ils en franchissent la porte, ils s'aperçoivent qu’elle ouvre sur une autre réalité dans laquelle il leur est possible de réaliser leurs désirs secrets. Bientôt, fréquenter cet endroit leur devient la chose la plus désirable au monde mais cela les place aussi face à un dilemme : jusqu'où sont-ils capables d'aller pour préserver leur secret ? Et quelles forces mystérieuses ont-ils libérées en entrant dans cette maison ?

 

Roman de formation, La nuit ravagée est aussi un hommage aux films d’horreur, y compris ceux de série B. Quel regard portez-vous sur ce genre quelque peu à la marge ?

C'est un genre pour lequel j’ai une immense affection. Le cinéma d'horreur a toujours brillamment exploré les contradictions, les peurs et les non-dits de nos sociétés. Il n’est d’ailleurs pas étonnant qu’il connaisse aujourd’hui un regain de vitalité, à l'heure d’un retour en force de tous les conservatismes et d’une violence politique et sociale qui ne cesse de croître et de se banaliser. Pour l’adolescent que j’ai été, ce cinéma incarnait une forme de contre-culture qui mettait en images un malaise intime et collectif que je n’étais pas encore en mesure de nommer. Mais il déployait aussi une imagination débordante, un humour souvent subversif, une vraie générosité dans ses effets. C'est sans doute parce que ce cinéma m’a tant apporté que j’ai longtemps rêvé d’écrire un roman d’horreur qui serait aussi le portrait d'une génération, d’une adolescence et d’une époque.

 

Mars 25 • Roman • 9782073092373

Dernière parution : Le fils de l’homme • Collection Blanche

 

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