Entretien

Dominique Bona de l'Académie française nous parle du livre Le roi Arthur

Miniature Dominique Bona

« Mon père passait allégrement du folklore paysan, auquel il était viscéralement attaché, si proche quand j’y pense des fabliaux du Moyen Âge, de leur tradition populaire, drolatique, à des récits tout à l’opposé qui puisaient, eux, dans la matière de Bretagne, sa veine aristocratique et ses paysages décalés. C’est ainsi que j’entendis parler pour la première fois du roi breton qui régnait par-delà les mers et portait le prénom de notre père. »

Qui est le « roi Arthur » du titre ?

Ce roi Arthur, c’est mon père, Arthur Conte (1920-2013). Il portait avec naturel ce magnifique surnom que lui valaient son allure, sa voix et son goût inné pour le commandement. Longtemps député des Pyrénées-Orientales et maire de son village de Salses, brièvement ministre sous la IVe République, il fut une figure politique de l’après-guerre jusqu’à la fin des années soixante-dix. Mais il était aussi écrivain et historien, un auteur prolifique dès sa jeunesse. C’était un père très présent en famille, et un conteur inlassable : ses histoires nous émerveillaient, mon frère et moi. Il en inventait, en puisant dans le vieux fonds du merveilleux qui remonte à la nuit des temps. Et le roi celte qui a donné son nom à la légende, ce roi assis à la Table ronde avec ses chevaliers fameux et ses fées si souvent maléfiques, faisait partie de son répertoire. Dans mon livre, les deux rois se mêlent et s’entrecroisent, leurs voix se répondent. Mais c’est bien lui, notre « roi des ours » puisque telle est l’étymologie de son prénom.

 

N'est-il pas difficile de devenir écrivaine quand on a eu un tel père ?

Il est vrai que j’ai grandi dans son ombre, qui était à mes yeux immense et protectrice. Mais ce ne fut jamais une ombre écrasante. Pour une raison simple : son autorité s’exerçait dans tous les domaines, sauf dans celui qui m’a toujours paru un territoire d’élection – la lecture. Il me laissait libre de lire et plus tard, quand j’ai commencé d’écrire, il ne m’a ni encouragée ni découragée : il m’a laissé m’envoler. Le goût pour le merveilleux, tout ce qui est de l’ordre du rêve, de l’imaginaire, je le lui dois. 

Je n’aurais pas pu écrire sa biographie. Je ne l’aurais pas voulu. Mon livre est un récit d’enfance. Une tentative pour comprendre mon propre parcours, depuis la petite fille émerveillée, mais aussi à travers des éclats de souvenirs, en me gardant de toute nostalgie, pour le retrouver, lui. C’est un livre sur la filiation, sur la transmission.

 

Ces souvenirs sont aussi un hommage à une région…

Entre les montagnes et la mer, tout au sud de la France, les Pyrénées-Orientales où je suis née, d’où toute ma famille est originaire, sont un pays en soi, aussi fortement reconnaissable que le pays corse ou le pays breton ou d’autres encore. C’est une terre rouge de garrigues et de vignes, où la tramontane souffle souvent avec rage. A mille kilomètres de Paris, on se sent au bout du monde ! Mon père, né français en France, a appris le français à l’école. Il parlait catalan avec ses parents et avec chacun dans le village. Il a gardé toute sa vie son accent sonore. A ceux qui s’en étonnaient, il répondait que c’était sa fidélité.

 

Vous écrivez à propos de ses dessins d'animaux « Il savait capter la vie ». N’est-ce pas, au fond, la définition de toute son existence ?

Oui, il a aimé la vie : les gens, les animaux, les paysages, le soleil et la mer, les voyages, surtout l’Afrique. La politique lui laissait des souvenirs âpres, mais il aimait écrire. Quand je ferme les yeux et que je le revois, il est assis à une table, le dos à la fenêtre, il plonge son stylo dans l’encre et il remplit des piles de feuilles blanches de son écriture régulière, continue, inlassable… Et puis, il a aimé ma mère, passionnément. Cet amour-là, j’ai essayé aussi de le faire revivre dans mes pages.

 

Oct. 25 • Récit • 9782073118318

Dernière parution : Les Partisans • Folio n° 7424