Daniel Pennac nous parle de Mon assassin

« Ce faisant, Pépère s’empare du roman d’entrée de jeu. C’est un coup d’État littéraire. Un personnage, auquel l’auteur ne pensait pas dix minutes avant de s’asseoir devant son ordinateur, s’installe aux commandes d’un roman.
Qui donc est ce Pépère ?
Un gangster, apparemment. Un assassin.
D’où sort-il ? »
« Mon » assassin… Pourquoi ce possessif ?
Je conçois, ou plutôt mon imagination conçoit un assassin, qui apparaît dans cette saga Malaussène où tous les autres personnages viennent peu ou prou de ma vie privée. Or je ne connais pas d’assassin et je n’en suis pas un. Il faut pourtant bien que ce personnage, « mon » assassin, vienne de quelque part. J’ai fouillé dans mes lectures d’enfant. Celle de « Mateo Falcone », par exemple. Je me souviens de la fureur qui m’anima le jour où on essaya de me « vendre » cette nouvelle de Mérimée comme une leçon de morale sur la trahison, alors que j’y voyais deux adultes corrompre un enfant et un troisième l’assassiner pour le punir de s’être laissé corrompre ! Ce jour de mon enfance, j’ai ressenti un désir de vengeance impitoyable dont je garde une trace indélébile. J’ai beaucoup aimé l’assassin Fagin, aussi, dans Oliver Twist, parce que, dans un premier temps, il m’est apparu comme un pédagogue hilarant. Quelle chance avait eue Oliver, en s’enfuyant de l’orphelinat, de tomber sur cette joyeuse bande d’enfants des rues et leur professeur, ce Fagin si drôle ! J’étais content pour Oliver ! J’étais en plein bovarisme adolescent, m’identifiant non pas à Oliver, mais à son statut d’orphelin, qui entrait tant en résonance avec ce que je vivais, ou croyais vivre, dans les pensionnats.
Au vu de l’enfance de Pépère (ici l’enfant Lassalve) et de son contexte familial, on pourrait presque lui trouver des circonstances atténuantes…
Circonstances atténuantes ? Je dirais plutôt que l’enfant Lassalve est le produit d’une éducation bourgeoise bien comprise ! En l’occurrence il s’agit de grands bourgeois, mouillés jusqu’au cou dans le scandale des piastres lors de la guerre d’Indochine. Ce trafic a tant enrichi les intéressés que la guerre en a été prolongée ! Enfant de ce milieu, l’enfant Lassalve (le jeune Pépère, donc) se comporte comme lui. Sauf qu’il le fait ouvertement, en devenant un tueur systémique. Un enfant bien élevé, en somme.
Le premier forfait du jeune Pépère est d’une certaine manière admirable…
Oui, il est doué ! C’est un enfant précoce, il commence très tôt par tuer un camarade de pension – qui le méritait bien, soit dit entre nous ! Dans ce pensionnat, il fait un stage auprès des rejetons de la haute bourgeoisie, la plus corrompue de l’après-guerre. Il roule pour lui, l’enfant Lassalve, et il roule bien.
Le livre alterne entre les exploits précoces de l’enfant Lassalve et l’origine des personnages de la saga…
Oui, on découvre ici que la plupart de mes personnages dans les Malaussène sont des amis proches. Leurs portraits alternent avec l’aventure de Pépère enfant. Ce balancement entre fiction et réalité, entre les amis qui me constituent et les personnages que j’en tire, fait entrer le lecteur dans l’atelier du romancier… Mais tout le suspense tient en cette question : quel coup nous prépare l’enfant Lassalve ?