Amélie de Bourbon-Parme nous parle des Trafiquants d'éternité II: L'ascension

« Alessandro ne cachait pas sa satisfaction de voir sa nièce ouvrir le bal des alliances entre la famille du pape et la noblesse romaine. Car l’adhésion de ces grandes lignées à son pontificat était un préalable à ses projets de reconquête des territoires de l’Église. »
À quelle « ascension » le titre fait-il allusion ?
Il s’agit de l’ascension d’Alessandro Farnese, c’est-à-dire son élévation au sein de l’Église mais aussi de la société romaine. Dans le deuxième tome de cette trilogie, il s’impose par lui-même, sans le soutien de son mentor, le pape Alexandre VI Borgia. Alessandro accumule charges et revenus pour devenir le cardinal le plus puissant et le plus riche de l’époque, une sorte de vice-pape, de prince de l’Église. Mais cette élévation le confronte à de nouveaux obstacles, de nouvelles oppositions, au sein même de sa famille. L’ascension retrace l’itinéraire escarpé d’Alessandro Farnese qui ne renia jamais son passé d’humaniste et sut tirer parti des crises dramatiques que traversèrent la papauté et l’Église – le sac de Rome, la réforme protestante, la menace ottomane – , pour s’imposer et devenir pape.
Vous décrivez une Église très éloignée de la religion, monopolisée par les intrigues…
C’est en effet une époque très particulière de l’histoire de l’Église : nous portons un regard anachronique sur elle aujourd’hui, avec des jugements de valeur. Le monde religieux n’était pas séparé de la sphère politique, ces deux univers s’interpénétraient. Néanmoins, à cette époque, l’Église a bel et bien commis de nombreux abus : ses dignitaires étaient surtout préoccupés de leur puissance pécuniaire et politique. Ils étaient plus pressés de profiter de leur charge ecclésiastique pour conforter la position sociale de leur famille que de prêcher l’Évangile. C’est l’ampleur de ce phénomène qui a provoqué la Réforme luthérienne et obligé l’Église à mettre en œuvre ses propres réformes.
En cette période de guerres, de violence endémique, et d’épidémies de peste, la famille était la cellule qui garantissait la meilleure protection, la plus grande stabilité. Elle permettait à l’individu de se survivre à lui-même. Les logiques familiales passionnelles gouvernaient le monde, et l’Église aussi.
L’un des paradoxes de cette Église réside dans l’importance du rôle des femmes dans un milieu en principe exclusivement masculin…
À mon sens, ce paradoxe vaut pour toute l’histoire jusqu’à l’époque contemporaine. Mais en effet, c’est peut-être plus surprenant dans ce contexte religieux. L’effervescence humaniste qui voit la naissance de l’individu moderne remet les femmes au premier plan : elles ne sont plus craintes, ni enfermées dans le carcan de la dévotion, elles sont célébrées, peintes, sublimées. Les cercles de pouvoir romains où l’Église occupe une place essentielle n’y échappent pas. C’est ce que j’ai voulu montrer dans ce roman et plus généralement dans cette fresque : les nombreuses figures féminines sont centrales dans la carrière d’Alessandro : sa sœur Giulia, l’entremetteuse, sa femme Silvia, conseillère adorée qui lui donnera une descendance, sa fille Costanza, l’alliée de tous les instants, et tant d’autres : Laura la courtisane, Felizia la fille du pape…
Peut-on considérer le pontificat de Jules II comme l’apogée de la puissance de l’Église ?
Je pense en effet que Jules II est le pape qui a su le mieux défendre la puissance temporelle de l’Église même si, justement, il a contribué aussi grandement à son affaiblissement spirituel. Il a également donné une impulsion artistique et architecturale très forte à Rome dans son ensemble comme au palais apostolique.
La phrase « le pardon était à vendre » évoque-t-elle la corruption morale née de la confusion entre le spirituel et le temporel ?
Oui, il s’agit de montrer dans ce roman comment l’Église avait mis en place un système de marchandage assez sophistiqué : les fidèles recevaient une réduction de leurs peines au purgatoire et l’assurance d’aller au paradis en échange d’argent versé aux envoyés du pape. Cet argent a permis à Léon X notamment de poursuivre la construction de la basilique Saint-Pierre, la plus grande église de la chrétienté.
Comme dans le tome précédent, L’ambition, vous reconstituez minutieusement les lieux, les milieux, et surtout l’état d’esprit d’une époque. Quelles sont vos sources ?
Je me suis appuyée sur différents types de livres : bien sûr la grande et brillante étude sur les papes de Pastor, mais aussi des monographies sur la vie quotidienne à Rome et en Italie, des études sur les palais romains, et évidemment le palais Farnese.