L'immense succès des Mémoires de Dumas est attesté par de nombreuses éditions, toutes dès longtemps épuisées. On a cru nécessaire de rétablir dans celle-ci, qui sera donc, si l'on ose dire, plus que complète, les passages supprimés par Dumas en 1863, lorsqu'il publia l'édition en dix volumes, depuis lors considérée comme définitive, en dépit de ses imperfections. Et, sans avoir la prétention saugrenue d'infliger aux lecteurs de Dumas l'apparat d'une édition critique, on a cru qu'il ne serait pas sans intérêt de relever certaines variantes et d'éclairer de notes quelques-uns des personnages et des événements qui foisonnent dans ces 2 000 pages compactes où éclate, plus encore peut-être que dans Les Trois Mousquetaires ou Monte-Christo, l'allégresse légendaire qui s'empare de Dumas quand il prend une plume.
Cheminant au petit bonheur, pleins de disparates savoureuses, ils n'en sont pas
moins, littérairement, du meilleur Dumas où, des volumes et des volumes durant, à travers anecdotes et «choses vues» contées avec une verve et une facilité incomparables, s'épanouit, dans le plus alerte contentement de soi, le personnage le plus étonnant peut-être, en tout cas le plus vivant, qu'ait jamais campé l'auteur d'Antony et de Joseph Balsamo – et c'est lui-même.
Enfant, il aperçoit l'empereur la veille de Waterloo – et le lendemain. L'énigmatique affaire Maubreuil (Talleyrand a-t-il «commandé» et payé l'assassinat de Napoléon?), l'équipée de la duchesse de Berry, les grands procès criminels, politiques, littéraires, les sociétés secrètes, l'art et la littérature, Lafitte et Benjamin Constant, Barbès et Blanqui, Nodier et Hugo, Musset et Vigny, Devéria, Delacroix, Tony Johannot, Talma, Mlle Mars, les Trois Glorieuses... revivent en des récits curieux et attachants, parfois impayables. Il n'avait pas tort de dire :«Mes Mémoires ne sont pas mes mémoires seulement : ce sont ceux de la peinture, de la poésie, de la littérature, de la politique des cinquante dernières années du siècle.»
Les tableaux de cette vaste galerie, pleins de couleur et de mouvement, demeurent précieux, un siècle écoulé, à l'historien et au moraliste.