L'Orient extrême présente un cas, de nos jours assez rare : celui d'un jeune homme malheureux. Sans doute a-t-il, comme on dit, «tout pour lui» : jeune, sain, intelligent, artiste. Il ne lui manque, justement, que le bonheur. Sans cesse il se sent menacé : l'espace lui montre ses griffes ; les hommes sont doucement cruels ; les femmes cruellement douces. Entre lui et le monde il y a un écart ; un vide ; un divorce. Réussira·t-il à se parfaire? Il semble qu'il lui manque un sens, celui de la simplicité.
Étrange et mélancolique personnage que ce Jean-Pierre Spellman. Insatisfait de l'Amérique, où il est né.
Insatisfait de l'espace, qui le terrifie. Insatisfait de l'amour, qu'il pare de prestiges romantiques. Il n'aime, au fond, que Paris, qu'un concours d'agrégation et de circonstances l'oblige à quitter : et il se retrouve alors au Zend, pays terrible et charmant ; à cheval sur la réalité et le symbole. Et qui, lentement, s'étire jusqu'à devenir absence...
Mais Jean-Pierre Spellman n'est pas seulement un vagabond au cœur crevé, au regard de somnambule. C'est aussi un écrivain. La vie, qui éclate en lui comme une grenade de parachutiste, projette à l'entour d'étranges fragments de lui-même. La flamme de l'explosion éclaire un jeune bachelier qu'un soupçon de volupté tue ; un Américain trop aimé de la gloire et des femmes ; un menuisier de rêve, qui brûle en deux vieilles filles ; le silence d'un amour de blancs dans une Inde de bronze, frémissante de désirs et de palmes.
Il y a dans ces pages une musique sourde ; de fulgurantes images ; un humour parfois féroce ; et trois grandes passions malheureuses : amour de soi ; amour des femmes ; amour du monde.