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Politique de l'interrègne, Le Grand Continent. Entretien

« Nous nous trouvons dans l’interrègne. Nous subissons des bouleversements que l’on peine à décrire, à transformer ou à arrêter. Deux forces fracturent notre réalité. La rivalité géopolitique entre la Chine et les États-Unis structure le monde. La crise climatique planétaire change tout. Entretemps, dans la pandémie, en France, en Europe, des spectres se raniment : la guerre, la dette, le genre, la souveraineté. Est-il encore possible de bifurquer ? Pour son premier volume imprimé, le Grand Continent, phénomène intellectuel des années 2020, réunit vingt voix qui définissent la structure des politiques dans l’interrègne. Une idée les réunit et justifie de les recueillir : si le désordre est certain, le chaos n’est pas encore une nécessité. »

Comment Le Grand Continent est-il né et a-t-il évolué, depuis une revue en ligne jusqu’à la publication d’un volume dans la collection « Esprits du Monde » ?

Gilles Gressani : Le Grand Continent est né en 2019 d’un pari : face aux bouleversements que nous traversons et qui nous attendent, nous devons articuler savoir et pouvoir, créer des interfaces qui soutiennent et portent les débats de fond, en France et en Europe. C’est à cela que servent notre plateforme en ligne, nos newsletters, nos tables rondes : construire un débat stratégique, politique et intellectuel à l’échelle continentale. Une revue du XXIe siècle doit construire une présence en ligne avant de s'inscrire dans la temporalité du papier.

Mathéo Malik : Ce pari tient. Le Grand Continent occupe une place structurante : les politiques y articulent des éléments de doctrine, les penseurs y font mûrir de nouveaux concepts, les journalistes l’utilisent pour alimenter leurs analyses. Nos publications suscitent des commentaires, charpentent des programmes et la liste de nos signatures et de nos lecteurs s’élargit. Politiques de l’interrègne sort de cet atelier foisonnant.

Vous définissez la situation actuelle dans le monde comme un « interrègne » : qu’est-ce que cela signifie ?

GG : L’introduction s’ouvre par une série d’images monstrueuses mais étrangement familières : « Des corps agrippés à un avion qui décolle s’écrasent sur le tarmac de l’aéroport de Kaboul… Il fait 49,5 degrés Celsius au Canada. » Nous sommes pris dans le vertige. Dans l’ère du désordre, la prise de recul est une impasse, la réflexion une tâche toujours recommencée, sans prise dans un espace sans coordonnées. Nous nous demandons : fait-on du surplace ou sommes-nous en train de tomber ?

MM : Dans cet entre-deux, nous entrevoyons une possibilité. Des idées nouvelles tentent de frayer des voies entre les impasses : nous voulons les confronter, leur donner forme. C’est là que couve le renouvellement. L’interrègne permet de désigner la vacance d’un pouvoir : il transforme le tâtonnement en séquence, il historicise cet état instable. C’est un recours utile pour structurer un discours et dépasser la superficialité des polémiques.

Au moment où les électeurs français sont confrontés à des choix cruciaux dans les urnes, tandis que le variant Omicron ravage le pays comme la planète, le volume Politiques de l’interrègne peut-il aider à répondre aux questions des citoyens ?

MM : La pandémie a soulevé les spectres qui ont hanté les vingt dernières années : la dette, les inégalités, le genre, l’angoisse démographique, la crise de la démocratie sont des thématiques que nous abordons sous un angle nouveau. En cela, le volume peut aider à faire des choix car il découvre des alternatives.

GG : Politiques de l’interrègne propose un diagnostic et des perspectives. À l’heure où la rivalité géopolitique entre la Chine et les États-Unis structure le monde, on connaît mieux le parti socialiste français que le parti communiste chinois. Or, qui que soit le prochain président de la République française, il sera confronté à deux permanences : la nouvelle guerre froide et la transformation écologique.

Qui sont les auteurs de ce volume, et pourquoi les avez-vous choisis ? Prolongerez-vous les relations avec les lecteurs par une interaction numérique ?

GG : Le Grand Continent est une revue structurante, pas structurée. Les auteurs ont été choisis car ils apportent dans leur diversité un renouvellement. Dans la partie consacrée aux transformations écologiques, des perspectives aussi divergentes que radicales sont présentées : de l’appel à l’action directe à la défense d’un optimisme technologique éclairé.

MM : Dans sa version en ligne, Le Grand Continent est lu chaque année par plusieurs millions de personnes, ce qui en fait la première revue francophone en nombre de lecteurs et de signatures. L’ambition de ce volume est de faire sédimenter ces débats et de permettre, à travers de nouveaux formats, une réelle interaction entre le temps du tweet et le temps du livre.

Gilles Gressani, normalien, directeur éditorial du Grand Continent, il préside le Groupe d’études géopolitiques et enseigne à Sciences Po.

Mathéo Malik, normalien, est rédacteur en chef du Grand Continent et secrétaire général du Groupe d’études géopolitiques.

 Entretien réalisé avec Gilles Gressani et Mathéo Malik à l’occasion de la parution du Grand Continent. 

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