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Le Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry

Il était une fois… un livre. Mais pas n’importe lequel. L’un des plus lus au monde : un conte qui a fait rêver et méditer, sourire et pleurer, des millions d’enfants et de grandes personnes. Il était une fois… Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry. Chaque livre a son histoire. Celle du Petit Prince est captivante. Enfant de l’exil, le petit personnage serait né à New York en 1942, sous la plume et les pinceaux d’un Saint-Exupéry mélancolique, souffrant d’être soustrait au terrain militaire. Paru outre-atlantique en 1943, l’ouvrage ne sortira en France qu’en avril 1946, à titre posthume.

SOMMAIRE

De New York à Paris

Quelques chiffres : une haute marée sans reflux

Un livre phare dans le catalogue pour la jeunesse de Gallimard

La question des dessins

De New York à Paris

Le Petit Prince. Encre et aquarelle sur papier.

Encre et aquarelle sur papier.
Coll. part. DR

Comment se fait-il que le public américain ait eu le privilège de découvrir Le Petit Prince trois années exactement avant les lecteurs français ? Aux circonstances de la guerre, d’abord : Saint-Exupéry qui, pilote militaire, avait combattu contre l’aviation allemande durant la Drôle de guerre, avait choisi, non sans amertume et hésitation, de quitter provisoirement la France pour rejoindre les États-Unis. Il fut donc de ceux parmi les intellectuels, journalistes et artistes français à choisir l’exil. Arrivé sur le même paquebot que le cinéaste Jean Renoir, il débarque à New York fin décembre 1940, où sont déjà installés quelques amis français (Lamotte, Lazareff) ; ce n’est pas un inconnu outre-Atlantique : certaines de ses œuvres y ont déjà paru en traduction et ont même connu un réel succès. Il est en contact avec plusieurs éditeurs et, son séjour aux États-Unis se prolongeant, il y poursuit naturellement son activité d’écrivain – tout en formulant avec netteté ses choix politiques, ce qui ne manquera pas de l’impliquer dans d’injustes polémiques avec quelques-uns de ses compatriotes exilés (voir Écrits de guerre, « Folio » n° 2573, 1994).

C’est donc dans ce contexte de l’exil et d’un monde en guerre que s’inscrit, sinon l’intention, du moins la rédaction de ce qui deviendra l’œuvre littéraire la plus traduite au monde. La fable garde les traces de sa naissance « extra-territoriale », tant dans la dédicace à Léon Werth qui l’ouvre (l’ami demeuré en France, victime de l’oppression allemande) que par les thématiques et situations narratives qui la composent. La solitude, la mort, l’étouffement, la vanité des pouvoirs, l’obéissance aveugle aux instructions, et bien d’autres thèmes encore, en forment la trame.

Incité par ses éditeurs américains à composer un récit, illustré par lui-même, pour les enfants, Saint-Exupéry se mit au travail à New York en 1942, sollicitant comme à son habitude les avis de ses proches, à la fois sur ses dessins et sur le texte lui-même (voir les nombreux témoignages réunis dans Il était une fois... le Petit Prince, « Folio », 2006). Prévu semble-t-il pour la fin de l’année 1942, le livre ne parut qu’en avril 1943 – le 6 avril, précisément, pour l’édition en langue anglaise (reliée toile) et une quinzaine de jours plus tard pour l’édition française (reliée toile ou simplement brochée). À en croire la presse américaine de l’époque et les quelques informations communiquées à Saint-Exupéry par son éditeur après parution, le livre connut un bon accueil aux États-Unis. On sait aussi qu’il y eut plusieurs réimpressions successives, tant en langue française qu’en traduction anglaise, avant 1947.

Outre son activité d’écriture (Le Petit Prince, donc, mais aussi la vibrante Lettre à un otage, parue presque simultanément, et les innombrables feuillets qui composeront l’œuvre posthume Citadelle), Saint-Exupéry, souffrant plus que tout d’être soustrait au terrain de l’action militaire, chercha sans relâche à regagner une unité aérienne. Parvenu à ses fins, il rallia Alger en mai 1943 et réintégra son escadre de rattachement, le « II/33 ». Il y reprit, malgré son âge et non sans intermittence, une activité de pilote. Il disparut au cours d’une mission de reconnaissance le 31 juillet 1944.

Ce n’est qu’après-guerre, et donc à titre posthume, que la maison Gallimard, en contrat avec Saint-Exupéry depuis 1929, publia Le Petit Prince. Gaston Gallimard, qui souhaitait en faire un livre d’étrennes, avait dans un premier temps envisagé une publication fin 1945. De fait, le livre n’arriva sur les tables des libraires qu’en avril 1946, précédé cependant par la parution des bonnes feuilles dans le numéro 2 de Elle, en novembre 1945 (Saint-Exupéry les avait promises à son amie Hélène Gordon-Lazareff). Le Petit Prince est alors à l’aube d’une aventure éditoriale sans précédent : le chef-d’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry devint un des livres emblématiques de l’après-guerre et eut tôt fait de conquérir les lecteurs français de tous âges ; il a fait, depuis, le tour du monde.

Un livre phare dans le catalogue pour la jeunesse de Gallimard

Après 1945, les maisons d’édition rajeunissent, égayent la présentation de leurs livres, lancent de nouvelles collections. La sortie du Petit Prince au début de l’année 1946 inaugure cette embellie éditoriale, de courte durée, qui s’efforce de renouveler le répertoire littéraire en s’attachant, notamment, le concours de grands auteurs contemporains. […]
Pendant la guerre, après le départ de [son éditeur en charge des livres pour enfants] Jacques Schiffrin exilé aux États-Unis, la maison Gallimard n’a publié que peu d’ouvrages pour la jeunesse : principalement des Contes du Chat perché de Marcel Aymé, et des « Almanachs du gai savoir » dirigés par Colette Vivier. La publication du Petit Prince, qui paraît en même temps que les Contes du milieu du monde de Guy de Pourtalès, annonce des temps nouveaux qui feront bientôt de Gallimard l’un des principaux éditeurs français pour la jeunesse. Mais à cette date, les livres pour enfants forment encore un secteur marginal de son catalogue, inauguré au lendemain de la Première Guerre mondiale avec le magnifique album du peintre Edy-Legrand : Macao et Cosmage. D’autres ouvrages prestigieux y figurent : Les Histoires du petit Renaud, de Léopold Chauveau, illustrées par Pierre Bonnard, édité en tirage limité en 1927 ; Mon chat, d’André Beucler paru en 1930 avec d’étonnantes images de Nathalie Parain. Mais c’est seulement vers 1933 que ce catalogue a commencé à s’étoffer, sous l’impulsion de Jacques Schiffrin, avec des titres comme Châtaigne, de Tchekhov, Histoires vraies, de Tolstoï, La Vie de Jésus-Christ, de Charles Dickens, les premiers Contes du chat perché (1934), L’Âne culotte d’Henri Bosco (1937) et la série documentaire des « Albums du Gai Savoir ».

L’édition du Petit Prince se situe donc dans la continuité de ces orientations qui, depuis les origines, réservent une place importante à l’expression artistique, associée à des textes de haute qualité littéraire.

Le Petit Prince. New York, Reynal et Hitchcock, 1943

 

Le Petit Prince. Librairie Gallimard, 1946

Édition originale française (Librairie Gallimard, 1946) et édition originale américaine en langue française (Reynal et Hitchcock, 1943).

Cette politique éditoriale s’inscrit, plus ou moins directement, dans le sillon du mouvement de pédagogie esthétique qui s’est engagé dans toute l’Europe du Nord au début du XXe siècle, et auquel ont adhéré un certain nombre d’éditeurs : animé par des enseignants, des collectionneurs, des écrivains et des artistes, attaché à la défense « des droits de l’enfance à la beauté », il encourageait le développement de la création artistique pour l’enfance dans tous les domaines de son environnement familial et scolaire, au nom d’un objectif pédagogique nouveau : l’éducation esthétique, considérée comme l’un des outils du développement harmonieux de l’individu et de la société.

D’après « Un livre pour enfant ? » par Annie Renonciat, dans Il était une fois… Le Petit Prince, « Folio », Gallimard, 2006

Quelques chiffres : une haute marée sans reflux

Prédevis de fabrication pour Le Petit Prince, 14 juin 1945

Prédevis de fabrication pour
Le Petit Prince, 14 juin 1945

Près de 10 000 exemplaires du premier tirage du Petit Prince, disponibles dans les librairies françaises depuis avril 1946, avaient été vendus à la fin juin, les ventes enregistrées sur l’exercice suivant (de juillet 1946 à juin 1947) se limitant au solde de cette impression initiale. Faut-il conclure à un succès mitigé pour un auteur aussi prestigieux ? Il convient de noter d’une part que la première réimpression du conte, seulement brochée, est commandé à l’imprimeur le 12 novembre 1947, pour une livraison en librairie avant Noël. Cette réimpression, tirée à 11 000 exemplaires, est suivie dès février 1948 d’une seconde, cette fois à 22 000 exemplaires. Les ventes cumulées de juillet 1947 à juin 1948 dépassent les 23 000 exemplaires. Le phénomène est en route, le livre a trouvé sa place dans le cœur des jeunes lecteurs français.
Dès 1948, l’ouvrage de Saint-Exupéry devient le livre pour enfants le plus vendu du fonds NRF ; à la même époque, en librairie, il se vend un exemplaire d’un nouveau titre des Contes du chat perché de Marcel Aymé quand il s’en vend six du Petit Prince. Les réimpressions se succèdent à un rythme très soutenu : en 1958, Gallimard comptabilise déjà dix-neuf réimpressions de la version brochée, tirée entre 22 000 et 55 000 exemplaires.

Dix ans après sa sortie en librairie, le livre s’est vendu à 450 000 exemplaires : une moyenne d’environ 50 000 exemplaires vendus par an, presque doublée dans les deux décennies suivantes. Il s’est diffusé au seuil des années 1980 plus de deux millions d’exemplaires du conte dans son édition d’origine et sa version reliée plus luxueuse (cartonnage d’éditeur). Autant dire que le prétendu purgatoire qu’aurait connu à cette époque la figure de Saint-Exupéry sous l’effet d’une nouvelle critique ne se reconnaissant guère dans le moralisme de ce contemporain (à l’inverse de Sartre, Foucault ne portait guère d’attention à la littérature de Saint-Exupéry, ni plus qu’à celle d’ailleurs de Camus) ne fut qu’une vue de l’esprit.
C’est cependant après 1980 que le rythme s’accélère, sous l’effet d’une diversification des publications de Gallimard, désormais adossées à une diffusion plus large de l’image du petit prince au sein du grand public, émancipée du strict rapport au livre qui conte son histoire (en témoigne l’émission en France, en 1993, du billet de cinquante francs à l’effigie de Saint-Exupéry, sur les deux faces duquel figure le petit prince). Jusqu’en septembre 1979, mis à part les versions disponibles dans les œuvres complètes parus en Pléiade (1953) et en version reliée (1952) ou en clubs, il n’existe que deux versions commercialisées du Petit Prince en France : l’édition initiale brochée à rabats et une version luxe, reliée d’après la maquette de Paul Bonet et parue en mars 1951.
Paraît en 1979 une édition chez Gallimard Jeunesse (département de la maison mère) en « Folio junior », la première collection de poche pour les enfants. Elle connaîtra un grand succès, preuve que l’ouvrage ne touche pas que des parents nostalgiques. Dès lors, les versions se multiplièrent (« Bibliothèque Folio junior » en 1982, hors série jeunesse en 1983, livre cassette en 1988…), puis « Folio » en février 1999. Au final, c’est près de onze millions d’exemplaires de l’ouvrage qui ont paru en soixante ans, dont plus de la moitié au format poche.

D’après « 1946-2006 : quelques précisions sur l’édition française » par Alban Cerisier, dans Il était une fois… Le Petit Prince, « Folio », Gallimard, 2006

La question des dessins

En 1999, « Folio » repartait de l’édition américaine pour établir fermement le texte et ses illustrations d’Antoine de Saint-Exupéry. C’est ainsi que l’astronome put enfin voir, dans sa lunette, une étoile qui avait malencontreusement été omise dans l’édition française de 1946 ! À cette occasion, il s’avéra que les dessins américains différaient de ceux reproduits en France. La maison Gallimard ne disposant pas à l’époque des dessins originaux du conte (qui apparaissent petit à petit depuis 1984 dans les ventes publiques, au fur et à mesure que les collectionneurs s’en dessaisissent), fut obligé de faire réaliser des copies par l’intermédiaire de son photograveur pour obtenir un rendu satisfaisant. Un véritable travail de dessinateur fut effectué à cette occasion, fort bien fait et discret, mais tout de même peu fidèle aux détails et couleurs des aquarelles de l’auteur. L’impression en cinq couleurs (contre quatre dans l’originale) a pu également induire des différences dans le rendu des teintes.

Aujourd’hui, l’ensemble est rétabli tel qu’en ses premiers jours et très exactement conforme à ce que Saint-Exupéry, de son vivant, avait souhaité. Cet aspect a son importance, maintenant qu’il est bien entendu que la genèse du personnage du petit prince fut bien graphique.

D’après « 1946-2006 : quelques précisions sur l’édition française » par Alban Cerisier, dans Il était une fois… Le Petit Prince, « Folio », Gallimard, 2006

Le Petit Prince. Encre et aquarelle sur papier.

Encre et aquarelle sur papier. Coll. part. DR

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